"Ceux qui voulaient me briser y sont parvenus..."
extrait de la dernière lettre de Jacques Bouille à sa famille





jeudi 6 décembre 2012

EXTRAITS de : « LES CONDITIONS DE DETENTION EN FRANCE Rapport 2011 » de l’OIP (Observatoire International des Prisons)



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       9. Suicides
Avec en moyenne une personne détenue se donnant la mort tous les trois jours, la France demeure l’un des pays qui présentent le « niveau de suicide en prison le plus élevé de l’Europe des Quinze ».
Les détenus se suicident six fois plus qu’en population générale, à caractéristiques démographiques égales (âge, sexe). Alors que les instances européennes ne cessent de rappeler à la France que la prévention du suicide est une question de santé publique, les gouvernements successifs persistent dans leur refus de transférer cette compétence de l’administration pénitentiaire au ministère de la Santé. Déniant l’impact des conditions de détention sur l’état psychologique des détenus, les mesures de prévention se focalisent jusqu’à l’absurde sur l’empêchement du geste suicidaire et occultent l’indispensable restauration de la personne dans sa dimension de sujet et d’acteur de sa vie.(…)



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(…)  Si les raisons qui peuvent pousser une personne détenue à se donner la mort sont complexes, la surmorbidité suicidaire observée en prison serait due à une combinaison de « facteurs individuels et environnementaux » selon l’OMS. Et de fait, alors que «  la prison réunit une concentration de population à faible niveau socioéconomique, souvent marginalisée et présentant des troubles psychiatriques ou psychologiques de plus en plus fréquents et de plus en plus graves » -soit une population présentant un risque suicidaire plus élevé que la moyenne- la « sursuicidité  ne paraît pas pouvoir s’expliquer par un simple effet de sélection » des personnes qui peuplent les établissements pénitentiaires. En effet, il apparaît que «  c’est précisément la population socialement, familialement et économiquement la mieux insérée qui est la plus exposée au suicide en milieu carcéral ». Les facteurs de sursuicidité empruntent donc à la fois aux caractéristiques des personnes qui sont détenues, à la situation de privation de liberté qui est la leur, et aux conditions dans lesquelles la peine se déroule.(…)



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(…) «  Les détenus consomment du « matériel », du « médecin », du « surveillant » sans projet et sans trouver de sens à une vie qu’ils subissent passivement ». Des sociologues qui se sont penchés en 2005 sur la problématique de la violence en prison appuient cette analyse. «  Les prisons sont des cimetières pour les gens vivants » leur a déclaré un détenu en maison d’arrêt. Pour ces chercheurs  « l’association de la prison à la mort n’est pas fortuite. La mort est très présente et très proche en prison, elle hante les murs ». Car, faute d’autonomie, de moyens de se faire entendre, ou de perspectives, les détenus retournent contre eux « la violence de l’enfermement et de la condamnation, en s’automutilant, en tentant de se suicider ou en accomplissant effectivement le sacrifice de soi ». Dans l’une des maisons centrales étudiées, la moitié des détenus rencontrés ont déclaré avoir exercé des violences contre eux-mêmes, tentatives de suicide ou automutilations. Un quart ont signalé avoir fait  une ou plusieurs tentatives de suicide. Dans chaque maison d’arrêt visitée, environ un détenu sur dix a dit « penser à mourir » ou bien « se battre contre des idées de mort ». «  Les motifs invoqués pour les tentatives de suicide et les automutilations sont multiples et souvent se cumulent : la longueur de la peine, l’enfermement, l’impuissance face aux proches, le sentiment d’injustice et d’abandon, le dégoût de soi, la honte et la culpabilité, éviter de s’en prendre à autrui, demander de l’aide, accélérer la réponse à une demande, parfois aussi l’innocence ». L’OMS ajoute que « l’impact psychologique produit par l’arrestation et l’incarcération ou le stress quotidien associé à la vie en prison peut dépasser les possibilités d’adaptation » des personnes. Dans ce cas, « l’isolement social et physique ainsi que l’absence d’accessibilité à un soutien augmente le risque de suicide ». Le suicide peut « alors être envisagé comme la seule réponse à une situation désespérée et sans issue ».

Depuis le début des années 1990, le profil des détenus suicidés est établi. Certaines catégories de personnes apparaissent particulièrement vulnérables, notamment les mineurs, avec un taux de mortalité par suicide s’établissant à 74 pour 10 000 en 2010, soit quatre fois supérieur au taux de suicide global en détention. Il en est de même des personnes placées en détention provisoire. En 2010, près de la moitié des personnes qui se sont suicidées étaient des prévenus, alors qu’ils ne représentaient qu’un quart  de la population écrouée. Sur les quatre-vingt-trois suicides survenus en détention entre le 1er janvier et le 14 septembre 2011, cinquante-deux étaient le fait de prévenus et trente et un de condamnés, soit respectivement 63% et 37% des décès par suicide recensés.(…)

D’un bout à l’autre du parcours carcéral, des moments à haut risque suicidaire ont également été repérés. En raison du choc qu’elle constitue, on relève une fréquence élevée de passage à l’acte au début de l’incarcération, car « l’individu perd progressivement ses repères, et subit un phénomène de dépersonnalisation ». Sur les 109 suicides recensés en détention en 2010, quinze ont eu lieu dans les dix premiers jours d’écrou (14%), vingt-quatre dans le premier mois de l’incarcération (22%) et trente-six dans les trois premiers mois (33%). La période de détention provisoire présente également un risque élevé du fait de l’appréhension du jugement mais aussi de l’incertitude quant à sa durée d’incarcération. Pour le prévenu, la prolongation d’un mandat de dépôt, une audition par le juge d’instruction, le refus d’une demande de remise en liberté, la veille ou le retour du jugement se révèlent être des moments propices à un passage à l’acte. Pour le condamné, il s’agit du moment où il apprend le refus d’une mesure d’aménagement de peine ou d’une permission de sortir quand il commence à appréhender sa libération. Certains moments de l’année sont aussi connus pour exposer davantage au risque suicidaire, notamment l’été et le mois de janvier, après les fêtes de fin et de début d’année. (…) Car « contrairement à ce que l’on observe dans la population générale, le fait d’avoir une famille, un conjoint ou des enfants est un facteur de risque en détention : ce sont «  ceux qui ont le plus à perdre qui se suicident en prison ». (…)

→ A voir également cet article de Le Monde, du 06 décembre 2012 : lien.

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