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9. Suicides
Avec en moyenne une personne détenue se donnant la
mort tous les trois jours, la
France demeure l’un des pays qui présentent le « niveau de suicide en
prison le plus élevé de l’Europe des Quinze ».
Les détenus se suicident six fois plus qu’en population générale, à caractéristiques
démographiques égales (âge, sexe). Alors que les instances européennes ne cessent
de rappeler à la France que la prévention du suicide est une question de santé
publique, les gouvernements successifs persistent dans leur refus de transférer
cette compétence de l’administration pénitentiaire au ministère de la Santé.
Déniant l’impact des conditions de détention sur l’état psychologique des
détenus, les mesures de prévention se focalisent jusqu’à l’absurde sur
l’empêchement du geste suicidaire et occultent l’indispensable
restauration de la personne dans sa dimension de sujet et d’acteur de sa vie.(…)
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(…) Si les
raisons qui peuvent pousser une personne détenue à se donner la mort sont
complexes, la surmorbidité suicidaire observée en prison serait due à une
combinaison de « facteurs individuels et environnementaux » selon l’OMS.
Et de fait, alors que « la prison réunit une concentration de population
à faible niveau socioéconomique, souvent marginalisée et présentant des
troubles psychiatriques ou psychologiques de plus en plus fréquents et de plus
en plus graves » -soit une population présentant un risque suicidaire plus
élevé que la moyenne- la « sursuicidité ne paraît pas pouvoir
s’expliquer par un simple effet de sélection » des personnes qui peuplent
les établissements pénitentiaires. En effet, il apparaît que « c’est
précisément la population socialement, familialement et économiquement la
mieux insérée qui est la plus exposée au suicide en milieu carcéral ». Les facteurs de sursuicidité
empruntent donc à la fois aux caractéristiques des personnes qui sont détenues,
à la situation de privation de liberté qui est la leur, et aux conditions dans
lesquelles la peine se déroule.(…)
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(…) « Les détenus consomment du
« matériel », du « médecin », du « surveillant »
sans projet et sans trouver de sens à une vie qu’ils subissent
passivement ». Des sociologues qui se sont penchés en 2005 sur la
problématique de la violence en prison appuient cette analyse. « Les
prisons sont des cimetières pour les gens vivants » leur a déclaré un détenu en
maison d’arrêt. Pour ces chercheurs « l’association de la prison à
la mort n’est pas fortuite. La mort est très présente et très proche en prison,
elle hante les murs ». Car, faute d’autonomie, de moyens de se faire
entendre, ou de perspectives, les détenus retournent contre eux « la
violence de l’enfermement et de la condamnation, en s’automutilant, en tentant
de se suicider ou en accomplissant effectivement le sacrifice de
soi ». Dans
l’une des maisons centrales étudiées, la moitié des détenus rencontrés ont
déclaré avoir exercé des violences contre eux-mêmes, tentatives de suicide ou
automutilations. Un quart ont signalé avoir fait une ou plusieurs tentatives de suicide. Dans chaque maison
d’arrêt visitée, environ un détenu sur dix a dit « penser à
mourir » ou bien « se battre contre des idées de mort ».
« Les motifs invoqués pour les tentatives de suicide et les
automutilations sont multiples et souvent se cumulent : la
longueur de la peine, l’enfermement, l’impuissance face aux proches, le
sentiment d’injustice et d’abandon, le dégoût de soi, la honte et la
culpabilité, éviter de s’en prendre à autrui, demander de l’aide, accélérer la
réponse à une demande, parfois aussi l’innocence ». L’OMS ajoute que « l’impact
psychologique produit par l’arrestation et l’incarcération ou le stress
quotidien associé à la vie en prison peut dépasser les possibilités
d’adaptation »
des personnes. Dans ce cas, « l’isolement social et physique ainsi
que l’absence d’accessibilité à un soutien augmente le risque de
suicide ». Le suicide peut « alors être envisagé
comme la seule réponse à une situation désespérée et sans issue ».
Depuis le début des années 1990, le profil des détenus
suicidés est établi. Certaines catégories
de personnes apparaissent particulièrement vulnérables, notamment les mineurs,
avec un taux de mortalité par suicide s’établissant à 74 pour 10 000 en 2010,
soit quatre fois supérieur au taux de suicide global en détention. Il
en est de même des personnes placées en détention provisoire. En 2010, près de la
moitié des personnes qui se sont suicidées étaient des prévenus, alors qu’ils ne représentaient
qu’un quart de la population écrouée.
Sur les quatre-vingt-trois suicides survenus en détention entre le 1er
janvier et le 14 septembre 2011, cinquante-deux étaient le fait de
prévenus et trente
et un de condamnés, soit respectivement 63% et 37% des décès par suicide
recensés.(…)
D’un bout à l’autre du parcours carcéral, des moments à
haut risque suicidaire ont également été
repérés. En raison du choc qu’elle constitue, on relève une fréquence élevée de
passage à l’acte au début de l’incarcération, car « l’individu
perd progressivement ses repères, et subit un phénomène de
dépersonnalisation ». Sur les 109 suicides recensés en détention en 2010, quinze ont eu
lieu dans les dix premiers jours d’écrou (14%), vingt-quatre dans le premier
mois de l’incarcération (22%) et trente-six dans les trois premiers mois (33%).
La période de détention provisoire présente également un risque
élevé du fait de
l’appréhension du jugement mais aussi de l’incertitude quant à sa durée
d’incarcération. Pour le prévenu, la prolongation d’un mandat de
dépôt, une audition par le juge d’instruction, le refus d’une demande de remise
en liberté, la
veille ou le retour du jugement se révèlent être des moments
propices à un passage à l’acte. Pour le condamné, il s’agit du moment où il apprend le
refus d’une mesure d’aménagement de peine ou d’une permission de sortir quand
il commence à appréhender sa libération. Certains moments de l’année sont aussi
connus pour exposer davantage au risque suicidaire, notamment l’été et le mois
de janvier, après les fêtes de fin et de début d’année. (…) Car
« contrairement à ce que l’on observe dans la population générale,
le fait d’avoir une famille, un conjoint ou des enfants est un facteur de
risque en détention : ce sont « ceux qui ont le plus à perdre
qui se suicident en prison ». (…)
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