"Ceux qui voulaient me briser y sont parvenus..."
extrait de la dernière lettre de Jacques Bouille à sa famille





jeudi 21 janvier 2010

Lettre de J. Bouille à son épouse, reçue après sa mort


Jacques Bouille est décédé dans la nuit du 23 au 24 mai 2009. Quelques jours plus tard, sa famille recevait trois lettres de sa main. Elles avaient été écrites presque une dizaine de jours plus tôt, mais n'avaient pas été transmises. Tout comme ne lui ont pas été remises, durant toute la semaine qui a précédé sa mort, sept lettres écrites durant cette période par son épouse, une lettre de sa fille, ainsi que deux lettres d'autres expéditeurs.



Jacques à Marie-Antoinette

Perpignan,le 19 mai à 10 h. 30

Ma chérie,

Voyage autour de ma chambre. Toute la nuit. En raison de la traditionnelle inondation provoquée par le voisin qui en fait un jeu : « Je bouche le lavabo puis je casse le robinet et l’étage s’inonde. » Et moi, pieds nus, serpillière, pelle à la main, remplissant une poubelle afin de faire baisser le niveau de l’eau qui se glisse sous ma porte. C’est la troisième fois en un mois. Cela paraît n’émouvoir personne. Et maintenant, ça pue le moisi et on baigne dans l’humidité. Joies de la cohabitation. Je suis pour le moins épuisé car, dans ce cas, personne n’aide personne et nul remède n’est envisagé. Cela peut donc se reproduire autant de nuits qu’il est de jours. Voilà pour l’anecdote. Le seul avantage que l’on puisse en tirer, c’est que l’on bouge beaucoup et que l’on éprouve ensuite une saine fatigue.
J’ai l’impression qu’il fait beau. Je vois un carré de ciel bleu filtrer par les grilles qui nous décorent, le finestrou ouvert, tout séchera plus vite. Maintenant, c’est donc détention plus galère. Cela pourrait, peut-être, être cumulé et venir en déduction des jours à passer… Je peux t’assurer, à l’avenir, d’une aide efficace à la maison. On dit bien qu’à toute chose, malheur est bon ; en voilà un exemple.
C’est mardi. Que fais-tu, le mardi ?...tout ce que la liberté permet de faire (ou presque ). Moi, j’attends. J’attends tout et rien. J’attends ta lettre qui n’est pas venue, hier. Au gré, du vent… J’attends que D* m’écrive ou plutôt réponde à ma lettre envoyée il y a trois semaines. (…) J’attends ce fameux contrat (de la banque) que je dois parapher soi-disant. J’attends vendredi aussi, M* et M* avec des nouvelles fraîches de tout, de tous, de toi surtout afin d’être bien rassuré, sur ta santé, tes et nos problèmes, sur le fait que tu penses à moi, que tu leur parles de moi et que tu leur dis que tu m’attends. Le leitmotiv : l’attente ! une découverte pour nous. Une de plus. Mais qu’est-ce qu’elle fait mal, celle-là ! Au creux de l’estomac. Au fond de la tête. Elle fait mal à en devenir… ce que tu voudras…

Je t’embrasse bien tendrement

Jacques.


13 h.30

Je viens de recevoir deux longues lettres : les 23 et 24, plus un mot de ta sœur et la photo de François avec l’entrée de la maison et le rhododendron en fleurs. Je l’ai installée sur ma table afin de l’avoir sous les yeux. Gros pincement au cœur. Que c’est beau ! Que c’est loin ! Que vous êtes loin, mes amours ! J’ai l’impression qu’il s’agit d’un autre monde, un monde lointain que j’ai quitté voilà une éternité.

Continuons à penser les uns aux autres très fort.

Je vous aime

Jacques.