"Ceux qui voulaient me briser y sont parvenus..."
extrait de la dernière lettre de Jacques Bouille à sa famille





lundi 23 novembre 2009

(3) Quelques exemples de réalisations et (ré)aménagements effectués durant les mandats de Jacques Bouille et de ses équipes municipales :


Sur le plan paysager, St Cyprien a été remodelé par des créations ou des re-créations importantes faisant de la ville un îlot de verdure:
_ les palmiers de l'avenue du Roussillon
_ la place de la République et la place des Evadés
_ les cyprès de la rue Duhamel
_ les magnolias des places de la Prade et de l'avenue du cimetière avec cyprès et rosiers
_ les fontaines déclinant le thème de l'eau
_ camélias et rosiers du jardin de l'église
_ réfection du parvis avec rénovation de l'église du village et de la chapelle de Villerase
_ l'arboretum des Capellans
enfin, le parc de la Prade, véritable trait d'union entre la plage et le village avec parcours sportif et jeux d'enfants, est un lieu de promenade arboré d'essences diverses (pin, mimosa, saule, platane, cyprès, ginkgo biloba, amandier, laurier, etc...) et animé par différentes espèces d'oiseaux aquatiques (cygnes, canards, etc...) évoluant sur trois plans d'eau peuplés de carpes et de d'autres poissons.
_ etc...


Place de la République du village, de jour


Place de la République du village, de nuit


Rond-point fontaine au village


Espace vert à l'entrée de la plage


Rond-point aux jets d'eau à l'entrée de la plage


Allée de cyprès du parc de la Prade


Canards et cygnes du parc de la Prade


Pont japonais de la Prade


La place aux magnolias de la Prade


L'église du village


Le jardin des plantes des Capellans


Avenue du Roussillon au village

dimanche 15 novembre 2009

(2) Quelques exemples de réalisations et (ré)aménagements effectués durant les mandats de Jacques Bouille et de ses équipes municipales :


Sur le plan culturel, des actions importantes ont été menées:
_ création de l'école de musique
_ création de la médiathèque
_ Festival des Arts (concerts de musique classique) en été
_ festival de guitare lors des Cypriales au printemps
_ nombreuses expositions dans les musées de la ville ou dans le parc des Capellans (Fauvisme, Yoruba...)
_ achats d'oeuvres d'art enrichissant le patrimoine communal
_ conférences
_ musée des Capellans (inachevé)
_ etc...


L'école de musique


Les 15 ans du Festival des Arts


Le parc des Capellans


Le château d'eau


La médiathèque Prosper Mérimée


Edito pour la saison culturelle





Le projet du musée des Capellans

lundi 2 novembre 2009

(1) Quelques exemples de réalisations et (ré)aménagements effectués durant les mandats de Jacques Bouille et de ses équipes municipales :


Bien évidemment, tous ces différents projets n'ont pas été financés par le budget municipal, cependant c'est la volonté de la municipalité qui a permis leur concrétisation (les collèges, le biopôle...).
Certaines constructions déjà existantes ont aussi été réaffectées à d'autres activités, comme par exemple les anciennes écoles du village devenues Ecole de Musique...

Entre autres,


Sur le plan sportif, Jacques Bouille et son conseil municipal ont manifesté une volonté forte de garder les Capellans dans le patrimoine de la commune en les rachetant à la SELCY. Le complexe sportif a été mis à la disposition des habitants de St Cyprien.

_ tribune au stade de la Tine
_ vestiaires au stade de Capellans
_ piste pour skateboarders
_ réfection des sols des gymnases
_ pistes cyclables
_ parcours de santé (Prade, Capellans...)
_ soutien important aux associations


La Prade


Vestiaires "Grand Stade" aux Capellans


Tribune du stade de la Tine

dimanche 1 novembre 2009

Discours prononcés lors des funérailles de Jacques Bouille, le jeudi 28 mai 2009.


Discours du père Jean-Paul Soulet, Vicaire général, évêché de Perpignan :

Le silence, seul, serait certainement de mise aujourd’hui, pour accompagner un homme, mort tragiquement, pour respecter une famille blessée, au milieu d’une population passée au crible de l’épreuve. Le silence aussi, pour que chacun, pour sa part, puisse écouter le sens à donner, la leçon à tirer de la vie et de la mort de cet homme, Jacques Bouille. Le silence !
Mais cependant, en ce lieu, une église, chacun est en droit d’attendre une parole, non pas une parole de convenance ou de complaisance, mais une parole de vérité, de cette vérité dont Jésus dit qu’elle libère. La parole de vérité de Dieu sur l’homme, qui n’est pas acide comme les vérités que nous assénons, qui corrodent et rongent, mais la vérité qui en Dieu s’accompagne toujours de la miséricorde parce que Dieu est Dieu et qu’il aime comme nous ne savons pas aimer. Dès lors, sa parole de vérité sur l’homme, elle apaise et cautérise. Ainsi cette parole, cette merveilleuse parole, qui achevait la première lecture, tirée de la première lettre de St Jean : « Notre cœur aurait beau nous accuser, Dieu est plus grand que notre cœur et il connaît toutes choses ». Nous, nous pensons connaître, nous connaître, tout connaître : tenants et aboutissants, causes et motivations et nous jugeons et nous tranchons et nous nous condamnons parfois nous-mêmes.
Dieu seul connaît toutes choses et nous connaît parce qu’Il est plus grand et qu’Il nous voit non pas de plus haut mais de plus profond, de l’intime. Il nous connaît ainsi mieux que nous-mêmes. Et Il nous connaît en pleine lumière de vérité et dans la douceur de sa miséricorde.
Gardons-nous donc, quant à nous, parce que nous ne sommes pas Dieu, d’enfermer quelqu’un dans ce qu’il a été à un moment de sa vie ou dans ce qu’il a pu faire, aussi légitimement répréhensible que cela puisse être. Un humain est toujours plus, et plus grand, que tel ou tel de ses actes. Il y a toujours dans l’humain la possibilité de succomber à la tentation d’où qu’elle vienne, la possibilité du dérapage parce que « la chair est faible » comme Jésus l’a dit à ses disciples qui s’étaient laissé aller à glisser dans le sommeil alors qu’il aurait fallu veiller avec leur Maître en agonie. Il est toujours facile et tentant de se laisser aller à glisser sur les pentes qui s’offrent au bord de notre chemin de vie, au lieu de veiller à garder le cap, la ligne droite, la rectitude. Mais il y a aussi et toujours, et au sens littéral de cette expression « grâce à Dieu », dans l’humain une accroche pour la miséricorde : cette part de l’âme, de la conscience, du cœur, comme on voudra, qui reste libre et pure, capable de vérité, de lucidité et d’amour. C’est la part-Dieu en tout homme, la part infrangible que Dieu se réserve pour appeler l’homme, le rappeler à lui-même, à la vérité et à la lumière, et ce jusqu’au bout, au bout du dernier souffle. C’est là la cause de notre espérance, folle espérance, et le sens de notre présence ici aujourd’hui et de notre prière pour Jacques.
Le sens ! Oui, il y a un sens et un appel dans toute vie, en toute mort. Dieu seul peut le donner car il ne peut y avoir d’autre sens dans une vie que l’amour et « l’amour vient de Dieu », comme la lettre de St Jean nous l’a rappelé.
« Aimons-nous les uns les autres » : cette parole phare et feu de l’Evangile que St Jean reprend là, elle prêterait à sourire tellement elle est contredite et par nous chrétiens -hélas !- aussi, bien sûr. Elle prêterait à sourire si nous ne constations au quotidien les drames et les dégâts du manque d’amour, du refus d’aimer. Alors, osons l’entendre : il est urgent de s’aimer les uns les autres. Et particulièrement de valoriser cette forme éminente de l’amour des autres qu’est… la politique. C’est le pape Pie XII qui parlait ainsi de l’agir politique, comme une des plus hautes expressions de l’amour selon l’Evangile, le don de soi au service des autres et du plus grand nombre, dans la cité et la nation. Cela prêterait à sourire là aussi -et je n’ai pas besoin de l’illustrer- si nous ne constations les drames et les dégâts du refus de vivre ainsi l’engagement politique, et les dégâts collatéraux dans diverses couches de la société, à commencer par les plus jeunes générations : défiance vis-à-vis de la politique, perte du sens civique et des attitudes citoyennes.
Oui, il est urgent et toujours temps de moraliser la vie publique, et d’abord chez nous, et pas d’abord en cherchant à accuser un bouc émissaire, forcément d’un autre bord, d’en face. Il n’y a rien de pire, dans une famille, que quand les parents se déchirent devant les enfants. Il n’y a rien de pire, dans une société, que quand ses dirigeants et gouvernants se déchirent devant leurs concitoyens et électeurs, voulant tirer la couverture vers eux, oubliant et humiliant tous ceux qui, plus qu’eux, peinent, souffrent, espèrent. Oui, il est urgent et toujours temps de faire de la politique le véritable service du bien commun, dans une légitime diversité d’idées et de propositions à mettre en débat et aux voix, mais en abaissant les hauts murs de l’idéologie derrière lesquels chacun ne voit plus l’autre et ne voit plus tout simplement la réalité de la vie, de ceux qu’il est appelé à servir et donc à aimer, osons le terme.
C’est là l’appel et le sens, me semble-t-il, de la tragique mort de Jacques. Mais c’est un vivant qui nous rassemble. Nous sommes dans une église chrétienne. C’était la foi de Jacques. Le Christ est ce vivant. Dieu fait homme, il a tout partagé de la vie des hommes jusqu’à l’angoisse extrême dans son agonie. L’Evangile selon St Mathieu nous l’a rappelé : « Mon âme est triste à en mourir ». C’est la tristesse de la vie et de l’âme humaines qu’il a prises et assumées jusqu’à en mourir. Notre espérance est là, en Lui. Il nous rejoint jusque là, à la défaillance ultime. Rien n’est sûr, assuré en ce monde, sinon cela : en Lui, Jésus, Dieu est là, avec nous, avec moi et quoi qu’il advienne ; et surtout quand je pâtis, mais aussi quand je suis prêt à repartir, dans le sens de la vie et dans le sens de l’amour. « Lui, Jésus, a donné sa vie pour nous ». Sa vie, aujourd’hui, est à libre disposition de ceux qui veulent repartir dans la vie, reprendre vie, redonner sens à la vie. Le dernier mot, je le laisse à une enfant, une petite, une pauvre, Bernadette de Lourdes qui disait : « Il suffit d’aimer ».


Discours de son fils :

Mon Père a eu une vie admirable. Il l’a menée comme il l’entendait jusqu'au bout. Il a su accomplir de grandes choses. C’était un homme de valeur. Il a tout eu, mais au fond de lui, ce qu’il aimait le plus, c’étaient les choses simples, comme son jardin ou la musique. Nous sommes profondément tristes, mais la vie qu’il a eue ne l’était pas. Elle a été complète.
Si nous ne sommes que ce que nous faisons, alors il ne disparaîtra jamais. Sa maison, sa ville, toutes les choses qu’il a faites resteront, et il sera toujours avec nous.
Son âme et son souvenir persistent.
Il m’a tant appris. Il m’a transmis sa force de caractère et la capacité d’aller au fond et au bout des choses. Il m’a appris à faire la part des choses et m’a donné son bon sens en héritage.
Aujourd’hui, il ramène nos vies aux choses essentielles, qu’il ne partagera plus avec nous, et c’est pour cela qu’il va énormément nous manquer.

François.


Discours de sa fille :

Le moment est arrivé, instant tant redouté pour un enfant, d’avoir à dire adieu à un de ses parents, à son père. Il est si difficile de parvenir à s’exprimer clairement et à propos. On s’en demande l’utilité, c’est un devoir, celui de la mémoire. Mon père le faisait si souvent pour d’autres, lui, et j’avais pu le voir préparer certaines de ses interventions. Il avait le souci du mot juste, de la phrase à la fois pudique et sensible, du respect de la douleur des familles et de l’hommage que chacun méritait. Il connaissait l’âme humaine, c’était un homme bon. Il préparait ses textes avec beaucoup de sérieux et de soin, comme tout ce qu’il faisait. Il était de ceux qui prennent tout très au sérieux et savent qu’il faut y consacrer du temps pour que les choses soient bien faites. Moi, j’ai eu si peu de temps pour retrouver mes esprits et rassembler mes idées !...mais je veux aujourd’hui témoigner d’un homme, mon père, que nous étions très peu à connaître intimement.

Mon père avait une science, des connaissances, qu’il emporte avec lui et c’est une grande perte pour nous et pour beaucoup. Sa aptitude à soigner d’abord, bien entendu, car il était un très bon médecin, qui savait poser des diagnostics justes et agir rapidement et conséquence. Son intelligence disparaît aussi, malheureusement, avec lui, celle de comprendre les choses, sa capacité à conseiller, à régler les problèmes. Il a beaucoup soigné, beaucoup écouté, beaucoup donné de temps et d’énergie. Il a beaucoup porté sur ses épaules, il s’est tant investi !
Mon père a su donner du travail également, quand il la pu, parce qu’il savait que le travail est essentiel à l’homme. Il en était convaincu pour lui-même. A ce propos, je tiens à remercier ceux qui ont su nous dire, ces jours derniers, qu’ils lui devaient beaucoup.

Mon père était un homme d’action, de réalisation. Un constructeur, un bâtisseur à sa manière, et qui était fier d’être le fils d’un homme, Georges Bouille, dont le premier métier avait été d’être maçon. Mon grand-père, que mon père avait tant aimé sans jamais savoir comment le lui dire, lui avait toujours montré que le travail et la vaillance sont des valeurs et des vertus. Pour mon père, son travail, ses travaux, étaient toute sa vie. Il ne s’arrêtait jamais. Soucieux de sa santé, l’âge venant, nous lui demandions toujours de prendre du repos, de prendre davantage soin de lui-même, et il ne le faisait jamais. Sans cesse venait une nouvelle difficulté, une nouvelle demande à laquelle il fallait répondre, une nouvelle chose à faire, toujours, un nouveau combat. Et c’était ce qui le poussait, lui donnait de l’élan, le tourmentait parfois, et nous avait souvent privés de lui. Enfant, je lui en avais voulu pour cela. En grandissant, j’ai compris que ce qui reste de la vie d’un homme, qui est bien peu de chose au fond, ce sont ses réalisations et l’aide qu’il a su apporter autour de lui. Ses actions méritent le respect. Il a toujours gardé mon admiration. Il restera beaucoup de mon père dans ce qu’il nous a donné, appris, dans ce qu’il a fait de ses propres mains et pour la ville de St Cyprien.

Mon père était également un homme sensible, très sensible, et c’est aussi ce qui faisait toute sa valeur. Il avait tant besoin de l’affection des siens et redoutait la solitude car il vivait pour partager ses passions. Mon père aimait la vie, sous toutes ses formes, de la plus simple à la plus complexe : les plantes, les animaux avec lesquels il a toujours vécu… il aimait l’art de tous les continents, la musique, la peinture,… car il était pour lui la plus belle expression de l’humanité. Ses douleurs personnelles étaient le plus souvent muettes, mais son amour, ses amours, sincères et profonds.

Depuis quelques mois, je peux dire qu’il souffrait terriblement de se sentir inutile, seul le plus souvent, et réduit à l’impuissance totale. Il a été progressivement conduit sur la voie unique du désespoir, et ce, malgré notre amour et le soutien de beaucoup. Je tiens à dire, sans passion personnelle, que ceux qui ont été les décideurs, les maîtres absolus de sa liberté, du cours de sa vie pour un temps, du traitement cruel qu’il a dû endurer, et de son destin à l’avenir, il en était convaincu, portent la lourde responsabilité de son épuisement et de son effondrement moral. On ne joue pas comme cela avec les nerfs, avec l’âme d’un homme à la personnalité duquel on ne connaît rien, sans en mesurer prudemment les possibles conséquences.

Sa disparition brutale, cruelle et violente, j’oserai dire atroce et sordide, nous laisse sans souffle, détruits, abandonnés. Nous avons perdu celui qui veillait sur nous, nous apprenait, nous réconfortait. A présent mon père est en repos, mais il s’est privé de nous et nous a privés de lui pour toujours. Toujours, pour nous, resteront des questions sans réponse, des doutes, des remords, des regrets.
Je garderai en mon cœur l’exemple d’un homme fort, et fragile, un homme d’honneur, d’orgueil et de courage, qualités qu’il a gardées jusque dans son dernier geste. Un homme dont je suis fière. Mon père s’est libéré lui-même, puisque d’autres, qui en avaient le pouvoir, n’ont pas jugé à propos de le faire, et lui laissaient comprendre qu’ils ne le feraient pas de sitôt. Il s’est libéré de cet enfermement trop long où lui manquaient tant une perspective, une vue, une fenêtre, un paysage, un jardin… mais il n’avait pas mérité cette fin-là : enfermé et seul, dans la nuit.

Dans ce lieu symbole du lien entre les hommes, je veux aussi témoigner aujourd’hui mon amour à ma mère, d’abord, qui va devoir continuer à faire face, avec courage, malgré le calvaire qu’elle endure, et à ma grand-mère, Jacqueline ensuite, qui a perdu avant l’heure « el seu fillet manyac, Jacky », et que la vie a déjà tant éprouvée.

Aujourd’hui, la souffrance de mon père est achevée. La nôtre perdure, ineffable et définitive, tout comme notre amour pour lui.

Frédérique.


Caminante, son tus huellas
el camino, y nada mas ;
caminante, no hay camino,
se hace camino al andar.
Al andar se hace camino,
y al volver la vista atras
se ve la senda que nunca
se ha de volver a pisar.
Caminante, no hay camino,
sino estelas en la mar.

Chant XXIX Proverbios y cantarès, Campos de Castilla, 1917, Antonio Machado.

Traduction :
Marcheur, ce sont tes empreintes
le chemin, et rien de plus ;
Marcheur, il n’est pas de chemin,
On fait le chemin en marchant.
En marchant on fait le chemin,
Et quand on regarde en arrière
On voit le sentier que jamais
On n’aura à fouler de nouveau.
Marcheur, il n’est pas de chemin,
Seulement des sillages sur la mer.



Y cuando llegue el día del último viaje,
y esté al partir la nave que nunca ha de tornar,
me encontraréis a bordo ligero de equipaje,
casi desnudo, como los hijos de la mar.

Retrato, Antonio Machado.


Discours de son épouse :

Les clameurs se sont tues. Jacques Bouille, mon époux est mort le 24 mai, seul, en isolement, dans une cellule de la prison de Perpignan. Il s’est pendu avec la ceinture de sa robe de chambre vers les trois heures du matin. La police municipale est venue me l’annoncer entre neuf heures et neuf heures et quart.
Né le 2 novembre 1946 de Jacqueline Mestres et de Georges Bouille, il a vécu une enfance heureuse avec son frère auprès de parents aimants et attentifs. Son père, militaire de carrière, a connu les déplacements, liés à son métier, en pays étrangers. Sa mère, dans ces moments-là, revenait à Latour chez sa propre mère et Jacques a passé là, auprès de Mémé Thérèse, des années inoubliables où avec les camarades de son âge – et, en particulier, avec Pierre Rogé – il a fait toutes les bêtises d’un enfant espiègle et vif. Il a connu l’école de Latour avant de repartir pour Angers au lycée : il a beaucoup aimé l’Anjou et se proposait de me le faire connaître… un jour.
Puis il est revenu terminer ses études au lycée de Perpignan quand ses parents se sont installés à Céret. Ensuite, ce fut la fac de médecine à Toulouse. Une fois son diplôme obtenu, il s’est installé en qualité de médecin généraliste à Saint Cyprien en 1975 parce qu’il m’avait épousée en 1970 et que j’étais originaire de ce village. Nous avons eu deux enfants : Frédérique et François.
Mon époux a exercé la médecine avec passion, son métier était pour lui presque un sacerdoce ; il s’y est dépensé sans compter. C’était un bon médecin qui avait un contact facile et simple avec ses malades, tentant de soulager leurs maux au mieux. Ce métier lui tenait tellement à cœur qu’il n’a jamais pu ni voulu l’abandonner. Au fond de lui, il y est resté viscéralement attaché. Je le savais, et quand j’ai enfin pu lui écrire au fond de sa prison, j’ai pris soin de mentionner sur chaque enveloppe : Docteur Bouille, espérant lui donner ainsi le désir d’exercer à nouveau. Il avait parfaitement compris le message, et dans ses lettres il n’a jamais manqué de me parler de son envie de retravailler à temps plein en médecine et même de me dispenser des conseils de médecin car il s’est beaucoup inquiété de la santé des membres de sa famille.
Père aimant, très aimant, il s’est occupé, à sa manière, de ses enfants, de leurs progrès, de leurs carrières. Il les taquinait souvent avec bienveillance et humour et tentait de leur inculquer ses propres passions : celle de la musique, par exemple.
Il s’est investi également dans les associations sportives de son village, et en 1983 il est devenu président de l’Intersports. 1989 a marqué un tournant dans sa vie : il est devenu Maire de Saint Cyprien et a commencé, sans trop y croire, ce que l’on appelle une carrière politique. A ses mandats de Maire, il a ajouté, par la suite, celui de Conseiller Général. Il s’est occupé – dans une période difficile pour ce parti sur le département – de l’UMP mais ce ne fut pas par envie de postuler à des postes attractifs, ce fut uniquement pour tenter d’apaiser les passions qui traversent parfois un parti politique naissant. Dès qu’il a pu, il a abandonné cette tâche ingrate qui donne l’illusion du pouvoir et suscite bien des inimitiés.
Homme d’action, c’était un travailleur acharné, passant de son cabinet médical à son bureau de la mairie, repartant faire des visites, la sacoche à la main, attentif aux demandes des uns et des autres et essayant – dans la mesure du possible – de les satisfaire.
Son père lui avait donné le goût du travail bien fait. Jacques était un homme d’une grande gentillesse envers les autres, ceux qui la sentaient et la comprenaient, le lui rendaient bien.
C’était un homme ambitieux, oui, très ambitieux… pour sa ville. Il avait le sens de la beauté et de la création. Il a voulu pour Saint Cyprien le meilleur. Il a su transformer le village en une petite ville, une des plus belles du département : crèche, médiathèque, fontaines, parc des Capellans et de la Prade où il aimait tant à se promener avec moi, illuminations de Noël et tant d’autres choses. Avec son conseil municipal, qui l’a toujours majoritairement suivi dans ses décisions, il a modernisé Saint Cyprien et augmenté sa population. Il a créé la première communauté de communes du département, ce qui lui a valu de recevoir la légion d’honneur des mains du Ministre des Collectivités Locales. Il essayait toujours de tirer Saint Cyprien vers le haut : son dernier projet, celui d’un musée aux Capellans, qui lui tenait tant à cœur, il le souhaitait pour faire de Saint Cyprien une ville culturelle importante. Il a toujours misé sur la culture comme étant une valeur essentielle à l’homme. Avec les festivals musicaux de printemps et d’été, l’autre pôle attractif devait être l’art, par les expositions du patrimoine municipal et les expositions venues d’ailleurs, d’artistes modernes et contemporains et d’artistes reconnus par le temps.
Son mandat de Maire, il l’a passionnément aimé et exercé avec la même passion. Il a beaucoup fait, et bien fait, même si ses réalisations pouvaient ne pas plaire à tout le monde : l’une des toutes premières, la place de la République au village, avait donné lieu à des appréciations diverses et peu amènes, mais petit à petit, le temps aidant, cette place a été intégrée dans le paysage de Saint Cyprien et a bien rempli sa fonction. Je ne vais pas énumérer une à une toutes ses réalisations, ce serait long et fastidieux. Cette église même dans laquelle nous nous trouvons, il a entrepris sa restauration extérieure pour lui faire retrouver sa beauté d’antan. Oui, il a beaucoup travaillé, fait, beaucoup aidé les autres aussi, et, bien des personnes dans cette assistance nombreuse, venue lui rendre un dernier hommage, peuvent en témoigner.

C’est ce même homme dont je viens d’énumérer les qualités et le charisme, qui s’est retrouvé en ma compagnie le 15 décembre 2008 dans les locaux de la police judiciaire et qui, après 48 heures de garde à vue, a été incarcéré à la prison de Perpignan.
A partir de là, il a commencé sa descente aux enfers et un long chemin de croix qui ont abouti à son suicide le 24 mai 2009.
Vilipendé, dénigré, lynché par les médias, il a été présenté sous un aspect tel qu’il en est devenu méconnaissable. Nous, sa famille, nous ne le reconnaissons pas dans le portrait qui a été brossé de lui, et lui-même ne pouvait s’y reconnaître. Cet homme aimable, bon, gentil, sensible et vulnérable a été broyé par la machine judiciaire. La détention préventive est une véritable torture morale que l’on fait subir à un prisonnier.
Et toi Jacques, mon époux, tu as été la victime d’un acharnement peu commun. Chaque demande de mise en liberté t’a été systématiquement refusée ; ce fut un jeu subtil et cruel qui a consisté à fermer toutes les issues et à te laisser seul, éperdument seul en quartier d’isolement, toi, un homme d’action, de façon à ce que tu te sentes totalement inutile. Toi qui aimais les contacts avec les autres, tu n’as eu en tout et pour tout durant le premier mois de ton incarcération que la visite du père Mariotti et de tes avocats qui ont été ton seul lien avec l’extérieur et avec ta famille. Qu’ils en soient ici publiquement remerciés.
Puis ta mère et tes enfants ont obtenu un droit de visite. Le sort qui nous a été fait à tous les deux a quelque chose d’inhumain. Nous, un vieux couple uni par près de 39 ans de mariage, nous avons été condamnés à une séparation totale.
A deux, nous aurions pu tout affronter en nous épaulant l’un l’autre. Nous n’avons pas pu communiquer entre nous. Je n’ai pu t’écrire qu’à partir du 10 avril 2009, presque quatre mois après ton incarcération ; c’est uniquement à partir de cette date que nous avons eu une correspondance suivie. Je n’ai jamais pu te revoir, je n’ai jamais pu te prendre dans mes bras, ni t’embrasser. Je ne t’ai revu que mort. Voilà, le sort qui nous a été fait !
Tout être humain a besoin d’affection, et tu en as cruellement manqué. On t’a épuisé, petit à petit, physiquement et moralement : jusqu’aux rumeurs stupides qui, curieusement, ont traversé les murs de la prison pour t’accabler encore et t’inquiéter. Cela fut pour toi, dans ton enfermement, un choc éprouvant. Cruauté sadique et méprisable ! Comment, dans de telles conditions, un être humain normal et fragilisé n’aurait-il pas la tentation de vouloir quitter définitivement ce monde ?
Merci au père Mariotti de t’avoir visité et réconforté à ce moment-là. Tu manquais de sommeil, tu ne pouvais dormir au calme ;… une prison, la nuit, ce n’est pas calme, même en quartier d’isolement. Tu as dû pendant plusieurs nuits, sentir monter l’horrible angoisse et l’affreuse tentation. Plusieurs fois, tu as su les écarter. Mais dans ta nuit obscure, à cette heure fatale bien connue des médecins, comme tu nous l’as écrit dans ta lettre d’adieux à tes enfants et à moi, la souffrance atroce de ton calvaire a atteint son paroxysme et tu as, par ton geste tragique, transformé ta vie en destin. Tu n’en pouvais plus, tu avais compris qu’on ne te libèrerait pas avant huit mois et peut-être plus et qu’on s’acharnerait encore après.
Tu avais tout compris. Avec un terrible courage et après nous avoir demandé pardon, tu as choisi de te libérer toi-même pour retrouver la paix. Nous ne te jugeons pas, Jacques, nous t’aimons et nous savons que tu nous aimais. Nous respectons ton choix qui nous crucifie et nous espérons que tu as trouvé l’apaisement de ta souffrance. Repose en paix, mon cher époux, dans cette terre de Saint Cyprien où tu demandes à être inhumé, à l’ombre des cyprès. Tes volontés seront respectées.

Mes chers enfants, vous êtes pour votre père et moi notre réconfort et notre espérance. Vous avez été de bons enfants pour votre père, ne vous culpabilisez pas.
Toi, Frédérique, tu as été pour ton père une fille parfaite, la fille idéale venant pratiquement chaque semaine le voir au parloir. Tu as été le seul lien entre nous deux, c’est grâce à toi que nous avons pu nous parler un peu.
Toi, François, tu as beaucoup ému ton père en lui écrivant dans ta première lettre ce que peu de fils osent dire à leur père et que lui-même n’a jamais pu dire au sien. Merci aussi de lui avoir envoyé une photo de son jardin qu’il aimait tant avec les rhododendrons en fleurs, lui qui regrettait de n’avoir pas vu le printemps. C’était « sa fenêtre sur la vie », écrivait-il dans une lettre qu’il m’a adressée.
Mamie Jacqueline, merci d’avoir rendu visite avec constance à votre fils et merci à Georges, son frère, de vous avoir accompagnée.
Merci à toutes nos deux familles de nous avoir soutenus et aidés dans notre détresse. Nous avons beaucoup souffert et nous allons devoir continuer à vivre dans la souffrance de l’absence.
Jacques, je t’ai perdu, alors que j’ai essayé de te retenir. Je sais que si tu étais sorti après les premiers quatre mois de préventive, rien ne serait arrivé. Cette mesure que la loi présente comme devant être exceptionnelle et dont la justice use et abuse de nos jours, à la manière d’une torture psychologique légale afin d’obtenir ce qu’elle souhaite, cette mesure est un scandale. Quand pourra-t-on enfin voir changer cette loi inhumaine ? Combien de vies seront-elles encore détruites si rien ne change ? La nôtre l’a été.
Nous n’avons eu, mon cher époux, que le pauvre réconfort de te voir retrouver ton jardin et ta maison hier seulement pour un unique jour. Jacques, nous ne vieillirons pas ensemble, côte à côte, mais tu restes auprès de moi : tu es ma vie.


Mes enfants et moi-même remercions, dans cette assistance nombreuse, celles et ceux qui ont su nous témoigner des sentiments sincères d’amitié et d’affection. Nous remercions tout particulièrement celles et ceux qui ont soutenu Jacques depuis le début de cette triste affaire, par les lettres qu’ils lui ont envoyées et le réconfort qu’ils nous ont apporté.
Notre peine est immense : Jacques ne méritait pas un tel sort, il était si curieux de tout, il aimait tant la vie… Nous sommes effondrés mais notre amour, notre reconnaissance envers lui, demeurent intacts et dureront toujours.

Marie-Antoinette.