"Ceux qui voulaient me briser y sont parvenus..."
extrait de la dernière lettre de Jacques Bouille à sa famille





jeudi 21 janvier 2010

Lettre de J. Bouille à son épouse, reçue après sa mort


Jacques Bouille est décédé dans la nuit du 23 au 24 mai 2009. Quelques jours plus tard, sa famille recevait trois lettres de sa main. Elles avaient été écrites presque une dizaine de jours plus tôt, mais n'avaient pas été transmises. Tout comme ne lui ont pas été remises, durant toute la semaine qui a précédé sa mort, sept lettres écrites durant cette période par son épouse, une lettre de sa fille, ainsi que deux lettres d'autres expéditeurs.



Jacques à Marie-Antoinette

Perpignan,le 19 mai à 10 h. 30

Ma chérie,

Voyage autour de ma chambre. Toute la nuit. En raison de la traditionnelle inondation provoquée par le voisin qui en fait un jeu : « Je bouche le lavabo puis je casse le robinet et l’étage s’inonde. » Et moi, pieds nus, serpillière, pelle à la main, remplissant une poubelle afin de faire baisser le niveau de l’eau qui se glisse sous ma porte. C’est la troisième fois en un mois. Cela paraît n’émouvoir personne. Et maintenant, ça pue le moisi et on baigne dans l’humidité. Joies de la cohabitation. Je suis pour le moins épuisé car, dans ce cas, personne n’aide personne et nul remède n’est envisagé. Cela peut donc se reproduire autant de nuits qu’il est de jours. Voilà pour l’anecdote. Le seul avantage que l’on puisse en tirer, c’est que l’on bouge beaucoup et que l’on éprouve ensuite une saine fatigue.
J’ai l’impression qu’il fait beau. Je vois un carré de ciel bleu filtrer par les grilles qui nous décorent, le finestrou ouvert, tout séchera plus vite. Maintenant, c’est donc détention plus galère. Cela pourrait, peut-être, être cumulé et venir en déduction des jours à passer… Je peux t’assurer, à l’avenir, d’une aide efficace à la maison. On dit bien qu’à toute chose, malheur est bon ; en voilà un exemple.
C’est mardi. Que fais-tu, le mardi ?...tout ce que la liberté permet de faire (ou presque ). Moi, j’attends. J’attends tout et rien. J’attends ta lettre qui n’est pas venue, hier. Au gré, du vent… J’attends que D* m’écrive ou plutôt réponde à ma lettre envoyée il y a trois semaines. (…) J’attends ce fameux contrat (de la banque) que je dois parapher soi-disant. J’attends vendredi aussi, M* et M* avec des nouvelles fraîches de tout, de tous, de toi surtout afin d’être bien rassuré, sur ta santé, tes et nos problèmes, sur le fait que tu penses à moi, que tu leur parles de moi et que tu leur dis que tu m’attends. Le leitmotiv : l’attente ! une découverte pour nous. Une de plus. Mais qu’est-ce qu’elle fait mal, celle-là ! Au creux de l’estomac. Au fond de la tête. Elle fait mal à en devenir… ce que tu voudras…

Je t’embrasse bien tendrement

Jacques.


13 h.30

Je viens de recevoir deux longues lettres : les 23 et 24, plus un mot de ta sœur et la photo de François avec l’entrée de la maison et le rhododendron en fleurs. Je l’ai installée sur ma table afin de l’avoir sous les yeux. Gros pincement au cœur. Que c’est beau ! Que c’est loin ! Que vous êtes loin, mes amours ! J’ai l’impression qu’il s’agit d’un autre monde, un monde lointain que j’ai quitté voilà une éternité.

Continuons à penser les uns aux autres très fort.

Je vous aime

Jacques.

dimanche 17 janvier 2010

Droit de réponse à l’article paru dans l’Indépendant du dimanche 10/01/10, rubrique de St Cyprien



Voici l'article qui a été remis par Mme M-A Bouille à son avocat afin d'être publié dans l'Indépendant :


« Dans la dernière réponse à la question posée à M. Thierry Del Poso, lors de l’interview de Frédérique Michalak (Indépendant du dimanche 10/01/10, p.11), je me dois de rectifier ce qui m’apparaît être une erreur. Le docteur J. Bouille et ses différentes équipes municipales ont toujours pris en compte la protection du littoral. Il n’en est pour preuve que les ouvrages d’épis en mer (2004 : 5 épis ont été construits pour un montant de 1 154 087,30 €)* qui ont contribué au ré-ensablement de certaines plages et le rechargement en sable du front de mer (2004 à 2005 pour un montant de 1 592 398,90 €)*. Il est donc faux de dire que : « …la protection du littoral …a été abandonnée pendant vingt ans. » Ce fut, au contraire, une préoccupation constante pour J. Bouille de préserver le littoral avec pour preuves concrètes des réalisations réelles que l’on peut constater « de visu » et qui ont eu un coût important. Les archives de la mairie peuvent en témoigner, il suffit, sans doute, de se renseigner auprès du secrétariat général et du ou des services en charge de ces dossiers. De plus, dans St. Cyp Info automne 2008 p. 15-16, un article sur l’écologie à St Cyprien parle de la protection du cordon dunaire et de la sensibilisation des élus à ce problème. Dans ce même petit journal, p. 7 à 11, se trouvent des tableaux récapitulatifs comptables des travaux de voirie et des équipements collectifs effectués à St. Cyprien pour un montant total de 33 millions d’euros en huit ans. »

*cf. St. Cyp info automne 2008, p.10.


Texte signé par Mme Bouille et co-signé par deux conseillers minicipaux de l'équipe de Jacques Bouille.



Voilà l'article publié par le journal, ce 17 janvier 2010 : LIEN ARTICLE



dimanche 10 janvier 2010

Correspondance durant la détention (extraits)


Jacques Bouille n'a pu revoir un membre de sa famille qu'environ un mois après son placement en détention provisoire, le 17 décembre 2008. Il lui était interdit de communiquer avec son épouse. Par modification de leur contrôle judiciaire, l'autorisation de communiquer par écrit leur a été donnée le 10 avril 2009.



A sa fille :



Le 18 janvier 2009

Ma petite Fridou,

Ta visite au parloir m’a apporté une grande bouffée d’air frais.
Enfin, au bout d’un mois, cet instant que j’attendais. Trop court, mais important car j’ai retrouvé du tonus à travers ta vitalité. Tu sais, on finit par oublier : être coupé de tout amène à un détachement certain du monde extérieur, c’est d’ailleurs très curieux, c’est à la fois aliénant et lénifiant.
Mais c’est reparti ! Comme je te l’ai dit, j’ai écrit à qui de droit, et j’ai beaucoup de questions à poser.
Dimanche s’écoule, s’étire bien lentement. Je lis, je fais de notes écrites. J’attends.
Une anecdote : ce matin, mon voisin de palier a complètement désintégré sa cellule. Il s’est déchaîné pendant deux heures, dans la plus grande indifférence -à tel point que je pensais que c’étaient des ouvriers (un dimanche ?!). In fine, lorsque les surveillants sont intervenus ils ont découvert qu’il ne restait plus rien de l’intérieur du studiocabine et le voisin est parti à Thuir… Petites distractions… on a celles qu’on peut.
Je te disais que ta visite avait été bénéfique, tu n’imagines pas à quel point : toutes tes lettres manquantes sont arrivées hier à 15h ! Si bien que j’ai pu prendre connaissance du petit mot très sympathique que tu m’envoies de la part de Mme ***, chez laquelle, c’est vrai, j’ai diagnostiqué une tumeur de l’hypophyse en trois minutes. J’avais en tête le cas de *** ***. Donc, Mme *** me semble aller très bien : les Toulousains sont d’excellents neurochirurgiens, j’en ai toujours été persuadé.
Entre autres lettres, j’avais aussi, dans le tas, un courrier de François et je vais lui répondre aussitôt. Je me suis rendu compte qu’on se passait très bien de téléphone. Ecrire, c’est mieux préciser et conceptualiser ses idées, dis-le à tes élèves, mais écrire vraiment dis-leur, pas des SMS ! Comme quoi, à toute chose malheur est bon ; essayons de positiver.

Bisou, travaille bien,

Papa.


Le 1 février 2009

Fridou,

J’espère que cette lettre te parviendra rapidement. Je retraverse une période d’angoisse importante. Tu en as eu conscience hier au parloir.
Plus que les problèmes juridiques, notre devenir financier m’obsède et ce, d’autant plus que je suis totalement paralysé pour mettre en route des solutions transitoires. J’ai la réelle impression de me heurter à une inertie, une incurie, pour ne pas dire un je-m’en-foutisme de mes conseils. Il faut que vous passiez outre ou que vous soyez intraitables avec eux ! Intraitables ! Il y a un mois que je demande à signer un certain formulaire. Rien ! Alors qu’ils ont en main mon document identitaire signé ! C’est scandaleux ! Il y a un mois que je demande que l’on se renseigne pour être informé sur les dispositions qui me touchent durant ces semaines où je suis empêché, avec les textes applicables. Rien !! Aucune réponse ! Il y a un mois que je demande qu’on m’envoie tous les formulaires utiles. Rien !
Il y a un mois que je demande à mes avocats comment me mettre en relation avec la banque pour obtenir un sursis de 6 mois du remboursement de mes emprunts afin d’obtenir un peu d’oxygène en attendant des jours meilleurs. De se mettre, au besoin, en relation avec le responsable des emprunts. Rien !! Il y a un mois que je leur demande s’il ne serait pas préférable de souscrire un emprunt hypothécaire, le temps de trouver un acquéreur pour ce que je veux vendre, donc le temps de souffler un peu… Rien, Rien, RIEN !
Alors comment ne veux-tu pas en arriver à se taper la tête contre les murs !!
Je ne connais même pas le solde de mon compte aujourd’hui.
Prenez les choses en main, voyez qui de droit, nous ne pouvons compter que sur nous-mêmes. Il y a des solutions, j’en suis sûr mais encore faut-il les mettre en route.
Dis à maman que je l’aime, qu’elle est la seule chose qui aujourd’hui donne encore un sens à ma vie, avec vous bien sûr. Mais sinon, bougez ! Moi je ne peux rien.

Je vous embrasse très très fort.

Papa.


Perpignan, le lendemain du jour du parloir avec vous deux.
Papa à Frédérique

Fridou,
Bien triste dimanche ! Pourtant, derrière les barreaux le ciel paraît bleu. Mais derrière des barreaux y a-t-il un ciel ?
Les vacances de février sont passées. Elles ont emporté les parloirs que j’avais tant attendus et cela me laisse un vide immense.
J’espérais tant de mes retrouvailles avec François. Trois mois sans se voir ! (…) Je sais qu’il s’inquiète tellement ! Cela m’a rendu encore plus triste.
J’ai conscience que la vie n’est pas facile pour vous. Sûrement même plus difficile que pour moi.
Dehors, on prend les problèmes et leur réalité en plein visage. Dehors il faut les gérer, les anticiper.
Merci Fridou, d’aider maman comme tu le fais. Merci à François aussi (…). Merci à maman, enfin, d’être si courageuse et solide pour deux. Dis-le lui !
Moi, je ne sers à rien. Je suis l’embarras de trop.
Derrière mes barreaux sans ciel, j’attends. J’écoute les minutes à la trotteuse de mon petit réveil cantiné.
J’espère qu’avec le temps et des avocats plus impliqués, moins compliqués (…), que tout finira par se décanter.
J’ai tant besoin de retravailler pour mon équilibre intellectuel d’abord, mais surtout pour avoir de moi-même une image revalorisée, celle de quelqu’un d’utile.
Les agitations politiques me paraissent tellement vaines. J’ai 62 ans. J’ai beaucoup fait, beaucoup donné pour ma ville. Mais je peux être encore médecin longtemps. C’est ce à quoi j’aspire.
Et avec cela une vie calme à côté de ta mère et de vous lors de vos congés.
« Patulae recubans sub tegmine fagi »
J’ai compris en trois mois qu’il y avait un temps pour tout. Encore faudrait-il que je puisse en profiter un peu car, Chemin de Mailloles, les perspectives sont limitées !...
(…) Mais pour l’instant, il faut continuer à ramer, triste retour à la réalité ! Mais que cela fait du bien de s’évader un peu.
Dis à maman et François que je les aime comme je t’aime. On ne le dit jamais assez.

A bientôt par lettre et à toujours par la pensée.

Papa.

(suite :)
Lundi, 4h du matin

J’ai passé une nuit d’insomnie et de cauchemar, une nuit d’angoisse.
Je n’ai pas cessé de penser à vous trois, maman , François et toi.
J’ai le sentiment –irrationnel bien sûr- que je ne vous verrai plus jamais réunis autour de moi comme autrefois. Que c’est désespérant lorsqu’une chose pareille s’impose à l’esprit, c’est une idée que l’on n’arrive pas à chasser, à calmer !
Pourquoi faut-il en arriver là pour mener une enquête de police et quel rapport existe-t-il entre la souffrance morale et l’émergence de la vérité ?
Plus que la souffrance morale : la souffrance affective ; et de quelle proportionnalité peut-on justifier entre la faute supposée commise et la détresse morale et affective dans laquelle on est plongé ?
Dans une société qui se veut humaine, n’existe-t-il pas d’autre solution que celle-ci qui peut amener les plus fragiles à l’irréparable ?
Mais ne te tracasse pas, mes sédatifs ne sont pas loin (…) et le jour va bientôt se lever.

Papa.


Dimanche 8 mars

Ma Fridounette,

J’ai écrit voici plus de 3 semaines à Mme *** à propos de ces fameux prêts, j’ai même retrouvé un vague brouillon de lettre. Mais je vais donc recommencer et adresser dès ce soir une lettre à M. ***. Je pense que Mme *** n’y met pas du sien, vraiment.
Dimanche, le petit mot du solitaire. Lorsque tu viens, c’est de la vie qui entre dans le parloir. C’est ma vie et tout ce que j’étais avant et cela me réveille, me donne envie de m’accrocher. Je pense que mes questions au parloir doivent te paraître puériles, mais si tu savais combien on régresse vite dans la solitude, combien on a besoin d’être rassuré. On a rapidement l’impression que la solitude c’est l’oubli, l’oubli de ceux qui n’existent plus, parce que la vie est la plus forte et qu’elle emporte ceux qui sont dehors et qui ont besoin de vivre, de bouger, de respirer, de communiquer, d’être avec les autres et que je ne suis plus dans votre cercle de vie, dans votre cercle de chaleur humaine.
Et dès lors on guette. Le moindre signe d’affection, le moindre message qui montre que l’on suscite encore de l’intérêt.
(…)
Je te parle souvent de maman lorsque je te vois. Parce que j’ai besoin de signaux d’intérêt, de preuves d’affection et d’amour puisqu’elle n’est plus qu’une image dans ma tête et que je ne peux plus depuis si longtemps, ni la voir, ni l’entendre, ni la toucher, ni l’approcher et que je sais qu’elle vit, difficilement certes, mais dans le cercle des vivants.
Ce n’est pas facile à faire comprendre.
Toi, tu me parles d’énergie, de tonus, d’idées claires, tu as raison. Mais tu parles comme quelqu’un de l’extérieur.
Et cependant, il faut que tu continues à parler ainsi, ça a le mérite de me réveiller tout à coup et de me permettre de m’accrocher et d’attendre avec plus de courage le moment où je retournerai dans le cercle de ce qui vit, pour vous y aimer et pour travailler, ah oui, travailler !!

Gros Bisous,

Papa.


Le 21 mars 09

Fridou,

Un petit mot très court pour te remercier de ta patience. On dit toujours que les jeunes doivent s’occuper des vieux. Cela paraît maintenant avéré.
J’espère que tu as reçu ou que tu vas recevoir ma dernière lettre. C’est elle qui motivait ta visite. Tu sais, dans la situation qui est la mienne, digne des us et coutumes de l’ancien régime, une seule phrase part en vrille et tout est démonté. Je t’expliquerai un jour l’émoi que cela a entraîné. (J’ai même eu droit à 11h du soir au déplacement de l’aréopage du pénitencier). Il faut dire que je n’étais pas bien du tout ! Mais ton père étant solide, les choses se sont arrangées. Il ne faudrait tout de même pas que l’on me laisse trop longtemps dans cette oisiveté malsaine. Il faudra bien trouver une solution de composition. D’accord pour que la justice puisse faire son travail, mais d’accord pour la recherche de la dignité humaine dont la première expression est pour moi le TRAVAIL. Je pense que les deux ne sont pas incompatibles.
Nous allons demander aux personnes qualifiées d’y songer.

Bisou, bonne semaine,

Papa.


Le 5 avril 09

Fridou,

Hier, j’ai dû te paraître bien maussade. Un peu endormi aussi. Il est vrai que j’avais fait un court somme en attendant mon tour et les psychotropes aidant, je n’avais pas l’esprit bien en place. Et puis ces nouveaux développements dans l’affaire « J. B. » ne sont pas de nature à me donner bon moral. Apprendre par la presse que ses propres collaborateurs montent des coups fourrés me laisse pantois mais surtout contribue à accroître le sentiment que j’aurai beaucoup de mal à plaider la fin de ma détention provisoire (qui, dans mon esprit, n’a plus de « provisoire » que son nom).
Quel drôle d’automne ! Quel sinistre printemps ! Sans parler de l’hiver ! En détention on perd toute notion du temps, surtout en quartier isolé. Et c’est ce qui contribue à s’éloigner (et s’aliéner) peu à peu de la réalité et de la vie normale. On perd progressivement une disposition naturelle qui s’appelle « l’élan vital » pour tomber dans une sorte d’aboulie, de passivité qui, sans aucun doute, est le but du système. C’est un glissement progressif dont on a d’ailleurs conscience, mais qui vous absorbe lentement et sûrement.
Demain, nous voyons la J.L.D. Qu’en sortira-t-il ? Je t’écrirai après l’entrevue.
J’ai hâte d’être à la semaine prochaine. Ces parloirs programmés. Ton frère qui viendra. Peut-être une bonne nouvelle… Comment puis-je encore conserver un brin de foi ?
Grâce à vous, vous sûrement qui êtes des modèles d’énergie. Comme le dit maman : « il faut tenir le coup ». Le mauvais sort n’est pas éternel.
Je voudrais tant retravailler. Pour avoir l’impression d’exister. J’ai tellement besoin de me réhumaniser. Cela ne doit pourtant pas être bien compliqué de trouver une solution médiane qui garantisse l’immunité de l’enquête et qui évite cette déshumanisation. Tenir le coup à « coup » de psychotropes (à la fois garantie contre l’écrasement de l’angoisse et, en même temps, camisole chimique) n’y a-t-il rien d’autre de plus intelligent ?

Je t’embrasse très fort,

Papa.


Le 17 mai 2009

Ma Fridounette,

Merci pour ton double parloir. Merci de prendre sur ton temps, ta fatigue, pour faire un aller-retour de 600 km.
Tu es en quelque sorte l’ambassadrice de ceux que j’aime par-dessus tout et dont il me manque tellement la chaleur et l’amour.

Tu es fatiguée, Fridou, prends le temps de te reposer et de te soigner. Tous les médecins sont de valeur égale en spécialité. Ne te néglige pas !
Ta santé passe avant tout, y compris moi.
Tiens-moi au courant. Soigne-toi !!

Je t’aime tant

Papa.





A son fils :


Le 14 Mars 2009

François,

C’est le 14 mars, ta mère a 63 ans aujourd’hui. Triste anniversaire.
Pardonne-moi de ne pas t’avoir écrit depuis longtemps. C’est par manque de courage. J’écris, je pense à vous et cela me rend malheureux. Les souvenirs d’autrefois reviennent et cela me donne une boule dans la gorge.
C’est vrai : être enfermé aussi longtemps rend fou. Je pense que tu l’as compris. On n'est plus soi-même. On vit dans l’angoisse, l’attente en se posant toutes les questions possibles. Quand sortirai-je, à quelles conditions, quand pourrai-je reprendre une vie normale ?
Hier, j’ai vu ta sœur au parloir. J’en suis sorti catastrophé. Les ragots, les stupidités, les pires calomnies à mon sujet viennent s’additionner à notre imbroglio juridique et cela n’est pas fait pour arranger maman qui a perdu 20 kilos.
J’arriverai bientôt à mon 4e mois de détention provisoire. Que se passera-t-il après ? Je n’en sais rien.
J’ai tellement hâte de sortir, de revoir des arbres, de sentir l’air du printemps et surtout de reprendre une activité. J’ai tellement hâte de revoir maman. Je l’ai perdue de vue un 17 décembre au soir et depuis…
La séparation n’apporte rien de bon.
J’ai peur, François. Peur d’être petit à petit oublié, rejeté. C’est la raison pour laquelle je demande à ta sœur de me voir le plus souvent possible. J’ai peur des autres et du rôle néfaste qu’ils peuvent pernicieusement jouer.

Je ne suis plus, tu le vois, d’une gaîté folle. Si, au moins, maman pouvait m’écrire, ne serait-ce que quelques mots, comme cela me rassurerait dans ma solitude ! Je sais que, de son côté, elle rame aussi. Matériellement ce n’est plus évident. Allons, je vais serrer les dents et arrêter de me plaindre. Ecris-moi plus souvent, le plus souvent possible, j’ai besoin que l’on me dise que j’existe encore.

Bisou

Papa





A son épouse :



Lettre n°1
Jacques à Marie-Antoinette

Perpignan le 07-04-09

Chérie,

Les enfants viennent de quitter le parloir : un double parloir et les deux enfants, j’ai été gâté (…).
Mais maintenant je suis doublement triste et c’est chaque fois la même chose car je ne t’aurai pas vue, alors que tu n’étais qu’à quelques mètres à peine de moi et cette seule idée me laisse le cœur gros et un sentiment de frustration qui met du temps à s’éteindre. Et mon trou à rats me donne encore plus envie de vomir.
Merci pour les chemises et pour les pantalons, il était temps ! Ce pantalon gris et sale me rappelait trop de souvenirs à oublier (quand cela sera possible).
J’ai le sentiment que l’on ne s’est plus vus depuis une éternité. Quel bouleversement dans notre vie ! Quels bouleversements aussi à St Cyprien ! Mais pourquoi tiennent-ils encore à nous tenir séparés ? Tout a été dit ! Quel secret faut-il préserver ? Cela confine au ridicule !
Alors nous en sommes au courrier d’auteur : Mr. Darcy et Miss Benett… souvenirs… on pourrait en rire s’il n’y avait pas tout le reste.
Depuis que tu as investi la petite maison, Fridou (…) fait des allers-retours incessants. La pauvre ! Elle en aura fait des efforts pour ces parloirs. Vraiment je lui devrai beaucoup ! Ses visites m’aident à tenir le coup en maintenant un lien affectif d’abord avec vous et puis une source d’informations indispensables pour rester en prise avec la réalité. En isolement on se coupe vite de la réalité des choses. En fait, c’est curieux, petit à petit la vie extérieure, réelle se dilue peu à peu et tout ce qui est matériel, vivant, perd son importance. C’est ce qui donne aux enfants cette impression de passivité qui les énerve lorsqu’ils viennent me voir : j’ai droit aux leçons en tous genres. Je vais m’appliquer à mettre en pratique leurs préceptes desquels tu n’es pas très éloignée, je pense.
Il paraît qu’à force de persévérance mon cousin M*** a obtenu un parloir. Je le remercierai pour cette gentillesse et cette générosité dont ils font preuve avec son épouse. Je sais qu’ils restent très proches de toi. La douleur morale, ils connaissent !
Ton cursus est plus rapide que le mien : tu dois leur inspirer davantage confiance. Pendant que je regarde les champignons pousser dans ma cellule, tu as parcouru un périple remarquable : Latour-Canet-petite maison et bientôt la grande… si ton avocat est plus persuasif que le mien !
En attendant je végète et je prends chaque jour davantage conscience que je suis en prison à soixante-deux ans ! Il m’en aura fallu du temps pour tenter une telle expérience. Mais pire que cela pour l’imposer aux miens ! Et de savoir que vous restez à mes côtés, mieux que ça, que vous me manifestez si fort votre amour me permet assurément de tenir le coup. Assurément. Et c’est vrai que j’ai besoin que tu m’écrives, que tu me confirmes ton soutien, ton amour, tant le doute vient vite lorsque l’on n’a que soi-même comme interlocuteur.
Et je suis bien persuadé que si, dedans, enfermé, vivre n’est pas facile, dehors, au contact des autres, des avis, des conseils, des regards, ça ne doit pas être évident tous les jours.
J’ai l’impression d’écrire des banalités. J’ai tant de choses à te dire de plus important, de plus personnel. Il faudra attendre le temps de la liberté. En attendant, il faut tenir, croire au lendemain et penser que chaque instant nous rapproche l’un de l’autre.
Comment s’évader d’une cellule sinon par le rêve ou la lecture. La lecture : je lis peu, c’est vrai mais ma bibliothèque s’enrichissant, je n’aurai plus aucun prétexte pour ne pas m’y mettre. Le rêve : ça c’est mon passe-temps de prédilection. Je rêve d’espace sans barreaux ni grilles. Par contre, je me rends compte que, peu à peu, laPrade sort de mon esprit, excepté ce banc où nous avions coutume de nous asseoir, près du kiosque, ma main sur ta nuque ; mais que c’est loin ! Et je pourrais te raconter mes rêves des pages entières… Je pense que c’est pour le cerveau, un moyen de lutter contre l’aliénation propice à ce genre de situation.
Les enfants me racontent la manière dont tu gères les affaires afin que nous puissions garder la tête hors de l’eau et ils trouvent que tu t’en sors bien. Moi aussi.
Raconte-moi ta vie. Dis-moi ce à quoi tu penses.

A bientôt, je t’aime, surtout ne m’oublie pas.

Mille baisers

Jacques



Première lettre de son épouse à Jacques Bouille :



Le 14-04-09


Mon cher amour,

Voilà qui nous rajeunit : nous n’avons guère eu l’occasion de correspondre depuis ton service militaire ! J’ai l’impression très nette de faire le lien avec ces deux époques. J’y trouve beaucoup de ressemblances. Tu me manques, ma chère âme, plus que tu ne peux le croire : je me sens à moitié partout et dans tout. Je te cherche et je pense à toi tout le temps : tu ne me quittes pas par la pensée, ce qui me fait tenir le coup, c’est de savoir que nous nous retrouverons. Frédérique a été un lien puissant entre nous deux, même si parfois cela l’a agacée car elle avait l’impression de ne pas compter à tes yeux….
Elle ne comprend pas que tu demandes sans cesse de mes nouvelles : les enfants ne comprennent pas la nature des liens qui unissent leurs parents. Je t’aime, mon cher cœur, et quoi qu’il arrive, ce lien entre nous est indéfectible. Cesse de craindre : je ne te quitterai pas, je ne t’ai jamais quitté.
Cesse de craindre : sois toi-même, ce que tu as toujours été. On ne peut aller contre sa nature profonde, on peut juste tenter de la canaliser. Sois toi-même, ce qui fait ton charme réel (totalement incompréhensible pour d’autres ! sans importance ce que pensent ou peuvent penser les autres) : ta capacité d’écoute (peut-être mise en veilleuse ?), ta soif de découvertes et d’apprendre, ta gentillesse naturelle, ta réserve (que certains -qui ne comprennent rien parce qu’ils ne te connaissent pas- taxent d’orgueil !!) Je revois ton sourire avec tes deux petites dents symétriques. Si tu savais… mais tu sais.
Redresse-toi, mon cœur, sur tous les plans y compris le plan physique. Fridou me dit que tu te tasses : fais un peu de sport. Ma principale crainte pour toi est l’abus de tranquillisants. Je suis sûre que tu en prends trop. Je t’en prie, je sais que ce n’est pas facile, essaie de diminuer progressivement les doses : cela occulte ta faculté de penser. Apprends à jouer avec ton esprit : il a parfois besoin d’une dérivation pour revenir au vrai sujet avec une acuité plus parfaite. Tente de lire, n’importe quoi, même des bêtises. J’ai relu intégralement « Le mouron rouge » (niveau mental : 12 ans !) quand je ne pouvais rien lire d’autre. Mais cela m’a permis de m’évader un instant ; il faut que tu en passes par là pour t’évader vraiment puis revenir à l’analyse des problèmes.
Tu es dedans, je suis dehors. C’est toute la différence même si notre souffrance (celle de la séparation) est identique. Jacques, je me moque de tout ce qui n’est pas toi : toi seul m’intéresses. Tu es ma vie. Sans toi, je ne suis rien, la vie a perdu son sens, sa valeur, son sel. Plus le temps passe, plus je le mesure. Je vis pour te retrouver. Je t’écris du bureau de Fridou, le printemps pluvieux a fait un bien fou au jardin : les camélias ont été superbes, une floraison remarquable, des rouges éclatants, des roses tendres ou tigrés avec des fleurs comme des soucoupes. Les pivoines, cette année, ont été merveilleuses : les roses comme les rouges. J’ai revu la trionyx : c’est une tortue énorme maintenant et toujours aussi curieuse. Les gingkos ont toutes leurs feuilles d’un vert plus tendre que celles des autres arbres et par ce grand vent fou de tramontane, du bureau, je vois une mer verte perpétuellement agitée. Le marronnier croûle sous les hampes. Magnifique ! Je pense à nos soirées d’été sur le banc près du bassin à regarder les poissons et les tortues : de purs instants de bonheur… Pense aux jours heureux : « Le bonheur est dans le pré/ Cours-y vite, cours-y vite/ Le bonheur est dans le pré / Cours-y vite, il va filer ! »
Ce qui me manque le plus, très curieusement, c’est ton odeur… mais je vais la retrouver puisque je rentre chez nous. J’ai reçu samedi (mais je ne l’ai eue qu’aujourd’hui) une lettre de la juge m’autorisant à revenir dans l’appartement : la P.J doit enlever les scellés des portes, mettre sous scellés différents objets et bijoux… et les emporter, je suppose. C’est ainsi que je peux également t’écrire. (…) Je pousse un soupir de soulagement à l’idée de pouvoir faire la déclaration d’impôts et autre. Sans aucun papier, ça relevait de la gageure… même si la comptable est hyper-performante. Espérons que la P.J sera assez rapide !
Ce qui t’a toujours caractérisé dans toutes les difficultés de ta vie, c’est ta capacité à rebondir. Je sais qu’aujourd’hui -l’âge étant là aussi, évidemment- apparemment elle te fait défaut. Seulement en apparence, mon cœur, car elle est profondément implantée en toi mais tu tâtonnes encore un peu… Courage, réfléchis, réfléchis encore et encore, ne te laisse pas influencer même si les conseils sont toujours bons à écouter, mais c’est de ta vie qu’il s’agit, la tienne, pas une autre. Elle t’appartient et j’espère que tu as toujours -malgré les médicaments- ton libre-arbitre. Même si nous sommes déjà vieux et si j’ignore le temps qu’il nous reste à vivre, il s’agit de faire comme s’il nous en restait… Pars donc de cette hypothèse. Comment envisages-tu ta vie ? Pour moi aucun problème, je te suis. Comme je suis à toi… (amusons-nous un peu, non ?) Tu sais, nous ne sommes pas grand-chose, nous en sommes même la preuve vivante et la vie est si pleine d’imprévus que nous n’avons pas toujours conscience de ce qu’il convient de faire ni même d’avoir la réaction appropriée. Cependant, d’un mal peut sortir un bien… c’est si bizarre, tout ça ! Qui sait ? Qui sait ce qu’il adviendra de nous ? Faisons confiance à la vie… Retrouve ton élan vital, il ne t’a pas abandonné. Ne baisse pas les bras, sois courageux, faisons face ensemble, nous nous aiderons et soutiendrons mutuellement… avec plus ou moins de bonheur, nous l’avons toujours fait. Ressaisis-toi, sois ferme, je suis avec toi.

Je t’embrasse, bisous, bisous partout

Marie-Antoinette


P.S : Les oiseaux t’attendent.