"Ceux qui voulaient me briser y sont parvenus..."
extrait de la dernière lettre de Jacques Bouille à sa famille





mardi 24 mai 2011

DETENTION PROVISOIRE


On parle peu de la détention provisoire en France. Les avocats -avec raison- ont beaucoup argumenté pour que la garde-à-vue soit modifiée, ils y étaient intéressés au premier chef. Pourtant, il y aurait beaucoup à dire sur la détention provisoire qui, comme son nom l’indique, devrait être de courte durée et exceptionnelle.

Hélas !, cette mesure, en France, est devenue la norme. On peut voir, aujourd’hui, que le système judiciaire nord-américain, pourtant critiqué par les médias français, est plus respectueux de la liberté d’un être humain, quitte à l’obliger à être sous contrôle mais hors les murs d’une prison. La détention provisoire dont usent et abusent les magistrats français est une mesure propre à briser un être humain. Peut-être, l’objectif est-il de faire avouer à tout prix un prévenu car il semble que, dans notre pays, l'aveu soit la caution attendue pour faire idéalement des coupables, qu'il évite d’avoir à présenter les preuves -réelles- de sa culpabilité qui font parfois défaut et qu'il permette, de surcroît, de se donner bonne conscience. L’on a vu les dégâts qui peuvent découler d’un tel comportement avec le procès d’Outreau, de sinistre mémoire. A l’époque du bracelet électronique, pourquoi laisser un individu croupir en prison avant même qu’il ne soit jugé et n’accomplisse alors sa peine, s’il est condamné ? Comment en arrive-t-on à ce scandale et cette aberration en France ? Comment peut-on oublier, dans la patrie des droits de l’homme, que rien n’est plus important que la liberté de l’individu ?

Un prévenu, qui doit bénéficier de la présomption d’innocence, est incarcéré comme s’il était déjà coupable. A aucun moment, il ne peut, enfermé comme il l’est, redevenir un être actif, préparer sa défense concrètement, il n’a même pas accès directement à son dossier, même s’il en fait la demande. Tout est fait pour l’accabler encore davantage. Or, la prison, l’enfermement, sont un choc monstrueux pour un individu ordinaire. Le milieu carcéral le sait, qui augmente sa vigilance lors des premiers jours d’incarcération. Mais on ne s’habitue pas à la prison, à se trouver coincé entre quatre murs et un espace de neuf mètres carrés. Ceux qui imposent cette pression et cette torture à un individu n’ont, sans doute, jamais expérimenté eux-mêmes, la réalité de la détention. Et, en France, on laisse un être humain enfermé, en isolement, aussi longtemps -et en toute légalité- que la justice le souhaite. C’est parfois un jeu cruel, celui du chat et de la souris, qui s’installe : à chaque demande de mise en liberté, on ressort la même grosse ficelle d’une confrontation à venir. Comme si on ne pouvait pas avoir organisé cette confrontation avant la date butoir de remise en liberté ! Quelle cruauté et presque quel sadisme ! Le système judiciaire français serait-il vicié à la base ?

Les juges français auront-ils, un jour, enfin, à répondre de leurs actes pour en finir avec les trop nombreux suicides de prévenus dans les prisons qui ne sont considérés aujourd’hui que comme des « dommages collatéraux » dont personne -à part l’Etat- n’a à répondre ? Il s’agit pourtant d’êtres humains qu’un trop long enfermement insupportable a anéantis, et tués.
« Quel rapport existe-t-il entre la souffrance morale et l’émergence de la vérité ? » écrivait mon époux à notre fille. Il se plaignait à elle, à juste titre, de souffrance affective. Mais, en vérité, la justice française reconnaît-elle à un être humain sa nature et sa condition d’être humain ? A-t-il droit à des sentiments, à une affectivité ? Mon époux a passé près de 99% de son temps en prison, SEUL. Songe-t-on, un instant, à ce que cela peut représenter pour un homme équilibré et sociable ? Sur le papier, sans doute, on se préoccupe des conditions d’incarcération. Certes, des avancées ont été faites, mais elles restent bien timides.

Vient-il à l’esprit des juges et des avocats qu’un individu sensé, confronté à ce type d’incarcération -alors qu’il n'a pas encore été jugé ni reconnu coupable !-, va fatalement sombrer, être bourré de médicaments (la camisole moderne), passer des nuits sans pouvoir fermer l’œil à cause des cris, des hurlements ou de bruits de toutes sortes faits par d’autres détenus qui expriment, à leur manière, leur "mal-être" ?
Vient-il à l’esprit des juges que c’est une torture qu’ils infligent, parce qu'ils en ont le pouvoir et qu'on leur en laisse le droit, à un individu qui doit bénéficier de la présomption d’innocence ?
Vient-il à l’esprit des juges que, dans ces cas-là la différence est ténue, très ténue entre la démarche du juge et celle du bourreau ?

M.-A. Bouille