"Ceux qui voulaient me briser y sont parvenus..."
extrait de la dernière lettre de Jacques Bouille à sa famille





mercredi 9 février 2011

Quelques nouvelles questions et leurs réponses (2)


(...)

Question 7 : Justement, vous semblez réagir davantage dans ce domaine. Pourquoi ne pas l’avoir fait immédiatement il y a deux ans ?

A cause du choc, d’abord, et parce qu’il fallait faire face à tant de difficultés… et puis devant l’accumulation d’erreurs, reprises en permanence au point de finir par être considérées comme des vérités acquises, je ne peux plus me taire. Au départ, nos avocats m’ont déconseillé d’attaquer les médias : ils étaient si nombreux ! Il fallait porter plainte contre chacun d’eux, ce qui a un coût à chaque fois. De plus, tous, hypocritement, se retranchaient derrière le « selon une source proche de l’enquête » qui permet, sous couvert d’anonymat, de raconter tout et n’importe quoi. Ils rapportaient aussi les propos des procureurs Dreno et Alzeari, récoltés lors des différentes conférences de presse. Il semble donc plus logique d’attaquer la source directement.
Le scandale fait vendre, tout le monde le sait. Beaucoup d’articles n’ont été que du « copier coller », chacun reprenant ce qu’un article précédent avait dit, pour parfois y ajouter en supplément une touche personnelle. J’ai le souvenir d’un article de Doan Bui (Nouvel Observateur n° 2325 du 25 mai au 3 juin 2009) parlant de la « disparition, au musée, de la Vénus de Dali », ce qui est une absurdité. Cette statue figure bien dans le relevé des œuvres présentes au musée. Mais se renseigner réellement, faire un article sérieusement documenté, n’est peut-être pas l’objectif premier d’une certaine presse. Il est vrai aussi que la demande d’un constat d’huissier sur les œuvres d’art de la commune n’a été faite par les juges d’Instruction que le 5 mars 2009, presque trois mois après l’incarcération de mon époux. Ainsi ont pu se répandre toutes les sottises possibles.
Au fond, c’était peut-être voulu… Il eût été facile d’arrêter ce type de ragots et de calomnies en rappelant que la gestion des musées de St. Cyprien relevait d’un régime municipal et non national, et quel était le pourcentage réel de l’achat d’œuvres d’art par la mairie par rapport au budget communal, ce que savaient parfaitement le préfet de l’époque, les procureurs, les juges, le percepteur et le trésorier payeur général !


Question 8 : Vous pensez que la justice fonctionne mal ?

Mal ? Le mot est faible. On marche sur la tête. On enferme certaines personnes pour peu de choses ; on « oublie » de le faire pour d’autres. Pour un même délit, on n’est pas condamné de la même manière selon l’endroit où l’on se trouve. Certes, je connais la réponse classique : on apprécie, dit-on, au cas par cas. Bien sûr. Mais cela semble parfois particulièrement inadéquat ! Les représentants de la justice se placent eux-mêmes au-dessus des lois : ils n’hésitent pas à ne pas appliquer des décisions de justice ou à entraver les droits de la défense. On entend souvent parler de « corporatisme » de la justice, ce que réfute le milieu judiciaire, mais quand on y est confronté, cela devient une évidence. C’est -hélas !- un univers effrayant de subjectivité, de connivences, d’intérêts mêlés… Nous avons lu et entendu les mots « réseau » et « mafia » dans cette affaire… Aujourd’hui, je découvre quel est le réel réseau d’influence dans la région et de quel côté il penche. Il est effrayant de voir les partis pris de l’enquête et/ou de l’instruction : tout est fait pour tenter, à toute force, de prouver la culpabilité d’une personne « présumée innocente » alors qu’il est dit dans la loi que l’instruction doit se faire « à charge et à décharge » dans le but de découvrir la vérité. Mais est-ce vraiment la vérité qui intéresse les juges quand on voit comment certaines personnes ou certains éléments sont soigneusement évités ? J’en viens à devoir déposer moi-même des requêtes en appelant à la manifestation de la vérité. Je demande certains actes. Bien évidemment, ces demandes sont rejetées les unes après les autres, ou alors on ne me répond même pas. Mes avocats sont consternés. Je me pose parfois cette question : la Police Judiciaire manipulerait-elle les juges ou les juges couvriraient-ils les « mensonges » et les omissions de la P.J. ? Moi, qui n’ai aucune notion de droit, à la lecture que l’on me fait du dossier, je perçois certaines incohérences, des invraisemblances, des distorsions… et les juges -dont c’est le métier- ne verraient rien ? Dois-je en déduire que certaines personnes sont protégées ?
Le même « copier-coller » dont je parlais à propos de la presse se retrouve aussi dans les « historiques » et la partie intitulée « au fond » des comptes-rendus des procès en appel. Je reste confondue devant ce qui est systématiquement écrit, répété et re-répété sur chaque document, alors qu’il s’agit d’erreurs grossières ! A titre d’exemple, je ne citerai que les allusions à nos revenus : à chaque fois, je retrouve des éléments faux au sujet de ce que mon époux gagnait en sa qualité de médecin généraliste ou à mon sujet car je suis déclarée « retraitée de l’éducation nationale », ce qui est vrai aujourd’hui, mais occulte le fait que je n’ai pris ma retraite qu’en octobre 2008 (auparavant, je travaillais à temps plein ). Mon époux a travaillé à temps plein comme médecin pendant presque plus de vingt-cinq ans, de plus, on passe sous silence ses indemnités de maire, conseiller général, président de communauté de communes. La seule variante que j’ai notée consiste en la disparition de la plainte de Thierry Delposo et de sa liste en 2008. Autre affirmation : « Les netsuké (sic) et tapis achetés au nom de la mairie n’étaient pas présents dans les locaux communaux », alors que, d’après la P.J., 365 netsukés ont été recensés dans l’armoire vitrée du bureau du maire en mairie !...
Que penser d'une telle façon de procéder, en effet ?


Question 9 : Vous dites « mes avocats ». Qui sont-ils ? Vous en avez plusieurs vous-même ? Dans quel but ?

A Perpignan, mon conseil est aujourd’hui Me. Deplanque dont la forte personnalité est connue. Il ne se laisse pas facilement impressionner. Il travaille de concert avec Me. Dartevelle qui a été, au début de l’affaire, l’avocat de mon époux, quand nous avons pensé qu’il était salutaire pour lui d’avoir un avocat capable de prendre de la distance par rapport au milieu perpignanais. Par la suite, j’ai demandé à Me. Dartevelle de rester mon avocat puisqu’il connaît l’affaire depuis le commencement. Je ne me préoccupe pas des opinions politiques, religieuses, sociales, philosophiques et autres, de mes avocats. Ce n’est pas en raison d’elles que je les ai choisis. Je leur demande de défendre mes intérêts et ceux de mes enfants et de nous aider à défendre la mémoire de Jacques Bouille. Bien entendu, suivant les actions engagées, nous devons faire appel à d’autres avocats encore pour nous représenter.


Question 10 : Et quel est leur point de vue sur le déroulement de l’affaire, justement ?

Ils ont l’un et l’autre une longue expérience du fonctionnement de la justice. Toutefois, Me. Dartevelle reste stupéfait du manque de courtoisie qui est la règle au palais de justice de Perpignan. Dès le départ, il m’a dit que pour une affaire de ce genre, mon mari n’aurait jamais été placé en détention provisoire si nous avions habité à Paris. Ce que l’on peut vérifier d’après d’autres affaires qui se déroulent dans la région parisienne. J’en déduis -et c’est un point de vue strictement personnel- qu’il existe en France, peut-être, une justice à deux vitesses, selon que l’on habite Paris ou la province. Je comprends surtout, avec désespoir, que mon époux pourrait être en vie si nous avions vécu en région parisienne puisque c’est son trop long emprisonnement qui l’a tué.


Question 11 : Avec du recul, êtes-vous en mesure de comprendre aujourd’hui ce qui a pu pousser votre époux à se donner la mort ?

Il est pour nous extrêmement difficile de comprendre et d’accepter. Mes enfants se posent encore beaucoup de questions. Nous sommes confrontés à la réalité de sa mort. Etait-ce bien son choix ?
A notre grande horreur, nous avons découvert un certain nombre de choses qui demandent à être explicitées. Il faut aussi que la vérité se fasse sur la mort de Jacques Bouille.
Son enfermement a été très long, il était dans une grande souffrance affective, à cause de sa solitude, du fait d’être séparé des siens et surtout de moi. Je n’ai pas été autorisée à le voir et, de plus, je n’ai pas pu lui écrire pendant presque quatre mois. Contrairement à ce qu’a affirmé le procureur Dreno (j’ai dû faire publier un démenti dans l’Indépendant au moment de la mort de mon époux), je n’ai été autorisée, par la juge Haye, à lui écrire qu’à partir du 10/04/09 officiellement. Le temps que la lettre recommandée me parvienne, nous avons commencé à correspondre vers le 14 ou le 15. Bien entendu, lui non plus n’était pas autorisé jusque-là à m’écrire. J’ai le sentiment que mon époux était tenu au secret : seuls ses enfants, qui n’habitent pas la région, et sa mère, très fatiguée, ont pu le voir. Son cousin germain et son épouse, qui en avaient fait la demande au mois de janvier 2009, n’ont obtenu le droit de visite -après mes demandes répétées et celles de mon avocat d’alors au moment de mes auditions devant les juges- qu’à partir du mois d’avril également. Mais quand on est enfermé 24 heures sur 24, dans 9 m2, quarante minutes d’entrevue avec quelqu’un, deux à trois fois par semaine, ne sont pas de nature à vous apporter tout le réconfort souhaité.
Bien sûr, sous le choc, nous avons imaginé toutes sortes de choses… Il est manifeste que ses prises de position politiques en ont gêné plus d’un, et que sa réélection contrariait quelques ambitions. Sa mort politique a été voulue, peut-être programmée, me semble-t-il. Ce que certains n’ont pas pu obtenir par les urnes, n’ont-ils pas tenté de l’avoir en introduisant des plaintes auprès de la justice ? Et sur quels motifs ? Des absurdités ! Auxquelles la justice a prêté une oreille particulièrement attentive, elle qui a manifesté à son encontre un acharnement si singulier. Sa mort physique n’est que la conséquence de tout ce qu’il a dû subir et que nous ignorions car il ne se plaignait pas. Il n’en a rien dit, ni à ses enfants ni à ses avocats.
Il a aussi eu beaucoup de mal à tolérer l’absurdité de la situation dans laquelle il se trouvait, lui, un scientifique, rationnel et méthodique, enfermé avant d’avoir été condamné, jugé avant qu’on ait pu faire la preuve de sa culpabilité… et tout ce qu’il tentait d’expliquer, d’apporter comme preuve, était occulté, dénigré, balayé par les a priori. De quoi déstabiliser n’importe quel être sensé.
Cela, après la torture de la garde-à-vue dont j’ai déjà eu l’occasion de parler, des interrogatoires épuisants volontairement, où l’on vous crie dessus, où l’on n’hésite pas à pratiquer le chantage, les pressions… après aussi les propos malveillants qui ont franchi les murs de la prison pour l’atteindre et le toucher profondément.
Lui qui aimait tant la vie, qui incarnait pour moi la joie de vivre, que n’a-t-il subi et souffert pour que la mort lui apparaisse comme la seule libération possible !


Question 12 : Il était en quartier d’isolement. N’était-ce pas mieux ?

Cinq mois en quartier d’isolement, ce n’est pas rien. C’est un milieu extrêmement difficile : il se trouvait dans le quartier réservé aux malades mentaux. Après l’annonce de son décès, une vidéo (qui a rapidement disparu) circulait sur internet : un gardien, membre du personnel de Mailloles y était interviewé. Il expliquait les conditions de détention dans ce quartier, il parlait des cris incessants, la nuit, dus à la présence de détenus souvent très perturbés. Comme il l’a expliqué à notre fille et l’a écrit dans ses lettres, il a dû endurer l’inondation répétée de sa cellule à cause d’un détenu qui laissait volontairement couler l’eau dans la sienne, sans réaction du personnel, apparemment. L’eau montait, il épongeait comme il pouvait, puis il regardait, impuissant, fleurir les moisissures sur les murs de sa cellule, comme il le précise dans une de ses lettres. Il avait si froid dans sa cellule qu’il m’avait demandé de lui procurer des pulls en laine et qu’il portait sa parka en permanence. Au mois de mai ! Le directeur de la prison, qui venait aimablement le voir, avant de partir en weekend, n’a, pour sa part, jamais rien remarqué, ni même senti l’odeur de moisi qui devait se dégager de cette humidité ?... Bien plus -mais je ne l’ai compris que plus tard- la semaine où il s’est donné la mort, aucune de nos lettres ne lui a été remise : le juge Anière m’accueillant dans son bureau pour me remettre les papiers de mon époux retrouvés dans sa cellule, le matin même où le corps de mon mari reposait en chambre funéraire et où son cercueil devait être scellé à midi, m’a reproché de ne pas avoir écrit à mon époux durant cette semaine. Devant mes dénégations, il est resté perplexe. Avec mon avocat, Me. Deplanque, nous avons demandé ces lettres, par la suite. Il a fallu bien du temps pour les retrouver, elles étaient au greffe, au nombre de sept en ce qui me concerne, plus une de ma fille et deux autres. Les dates (comme en atteste le cachet postal) s’échelonnent du 15/05/09 au 23/05/09. Ses dernières lettres me sont parvenues ensemble quelques jours après sa mort. Je pense qu’il s’est senti bien seul. Trop. Pour un prisonnier, le courrier représente un lien avec ceux qu’il aime et c’est un peu de leur présence qui entre soudain dans sa cellule. On ne lui a même pas donné cela. Qui sait si ce n’était pas exprès ! Je retrouve ici le même type de cruauté et de sadisme dont j’ai déjà parlé à propos de la police judiciaire.
Mon époux était certainement dépressif : tout le monde le savait (cf. L’Indépendant du 11/02/2009 : article de François Barrère), j’avais averti la juge de son mal-être au mois de mars, ce même weekend de mars, j’avais prévenu par téléphone la prison où une personne de permanence m’avait aimablement rassurée en me disant qu’on savait mon époux suicidaire mais qu’on allait renforcer la surveillance. Seulement, on ne guérit pas en vingt-quatre ou quarante-huit heures d’un état dépressif : mais comme il s’agissait de lui, comme d’habitude, on n’y a pas accordé d’importance. Peut-être même a-t-on pensé à de la comédie… Pourtant (mais là encore, nous l’avons appris après son décès), une fouille de sa cellule avait permis la découverte de médicaments mis de côté et conservés. Cela aurait éveillé les soupçons de n’importe qui… mais pas ceux des responsables du centre pénitentiaire ou ceux de la commission adéquate. On s’est contenté de lui donner un avertissement ! Ces médicaments posent d’autres problèmes : sont-ils le signe d’une intention suicidaire ou le résultat d’un sevrage ? Ce qui aurait dû alarmer et faire réagir a été traité avec une légèreté lourde de conséquences.
Nous, sa famille, nous n’en avons rien su, sinon nous aurions compris. Et il est mort.


Question 13 : Un autre article a mentionné la parution prochaine d’un livre sur le sujet. Confirmez-vous cela ?

Un livre racontant toute l’affaire de Saint-Cyprien, depuis les premières auditions du maire jusqu’à son triste épilogue, paraîtra bientôt, en effet. En voici la présentation :
Cet ouvrage, qui tourne plus spécifiquement autour du personnage de Jacques Bouille, reprend les différents éléments de mise en cause en les analysant et en y répondant. Il ne s’agit en aucun cas de faire l’apologie de Jacques Bouille ou de le faire passer pour coupable. L’instruction du dossier est toujours en cause et nous n’avons, en aucun cas, le droit de nous immiscer dans les rouages de la justice. Il s’agit simplement de porter un autre regard sur l’affaire, sans prendre en compte, comme cela a pratiquement toujours été fait jusqu’ici, les seuls éléments à charge. Pour une raison mystérieuse, Jacques Bouille a, dès son arrestation, subi une énorme pression sans bénéficier, apparemment, de la moindre sympathie. Il est notoire que si certaines personnes incarcérées -notamment Florence Cassez au Mexique- bénéficient immédiatement de la sympathie de tous, les politiciens sont considérés comme des parias dès qu’ils ont affaire à la justice. Le livre répond donc aux questions que le public a pu légitimement se poser avec les seules informations dont il disposait. Il démystifie certaines légendes, telles les norias de camions transportant des berlines de luxe venus décharger leur contenu devant la maison de l’édile. Enfin, à travers des témoignages de proches et des courriers qu’il a écrits durant sa détention, le livre explique comment le maire a pu en arriver à un découragement tel que la mort lui a semblé être la seule issue.