"Ceux qui voulaient me briser y sont parvenus..."
extrait de la dernière lettre de Jacques Bouille à sa famille





samedi 20 mars 2010

Détention provisoire



« Jusques à quand ? Combien faudra-t-il encore de morts pour qu’on arrive enfin à arrêter ce type d’enfermement qui condamne par avance tout être officiellement présumé innocent ? Pendant que certains réfléchissent à ce problème, dans les prisons françaises, chaque jour, des êtres humains meurent… désespérés, fracassés, anéantis, annihilés par cette peine « par avance » qu’ils doivent subir. Vit-on au XXIe siècle ou encore au Moyen Age pour laisser perdurer ainsi une mesure qui devrait et devait être exceptionnelle ?

Marie-Antoinette BOUILLE



A propos de la journée du 09/03/10 :

Plusieurs articles de presse montrent l’émoi causé dans les milieux judiciaire et policier par l’éventualité d’une réforme portant sur la suppression du juge d’instruction et la modification de la garde à vue (cf : Le Monde du 10, du 11 et du 13/03/10)
Pour mieux apprécier le rôle du juge d’instruction et la vie en milieu carcéral, parmi l’abondante littérature qui existe sur ce sujet, deux ouvrages récents :

1°) En toute impunité de Pierre SUARD; ce livre décrit la « machination médiatico-judiciaire », selon le préfacier Stéphan GUERIN, « l’engrenage kafkaïen » dans lequel fut pris P. SUARD, président directeur général d’Alcatel-Alsthom ainsi que la disparition de ce groupe.
Ecrit à la première personne du singulier, l’ouvrage permet au lecteur de suivre pas à pas une instruction que l’auteur qualifie de « partisane » dans son Prologue. Chaque chapitre est illustré par une citation, ainsi au chapitre II « Grattez le juge, vous trouverez le bourreau » (V. HUGO) et chapitre IV « Le discernement est la principale fonction du juge, et la qualité nécessaire du jugement » (BOSSUET).


Extrait de la Préface p. 13-14 : « Notre pratique pénale a vu apparaître une nouvelle espèce de magistrat non prévue par le code et dont on trouvera un exemple dans ce livre. Les professionnels l’appellent le « Juge d’Instruction à Charge ». Ce nouveau type de magistrats n’est pas à la recherche des faits, de ce que l’on pourrait appeler la vérité. La conception qu’il a de son rôle est de sélectionner les faits qui confortent sa conviction et de ne faire rentrer dans le dossier que les pièces qui corroborent l’opinion qu’il se fait lui-même de la culpabilité du « mis en examen ».
Ces juges d’Instruction à Charge se substituent souvent à la police judiciaire pour mener leurs diligences à leur manière. Ils se doublent souvent du rôle non pas du juge mais du justicier, disposant pour les soi-disant besoins de l’instruction de mesures répressives qui équivalent à des sanctions graves comme la prison ou l’interdiction de travailler, comme on le verra dans ce livre, tout ceci avant même que la personne concernée soit entendue par un Tribunal. Celle-ci bénéficiera peut-être d’un non-lieu plus tard mais le mal a été fait et une éventuelle indemnisation pécuniaire symbolique ne répare pas le dommage, et à fortiori quand le mis en examen conduit au désespoir s’est suicidé.
Se rajoute à ces pratiques le lynchage médiatique par la diffusion calculée d’informations vraies ou fausses en totale violation du secret de l’instruction . On traîne dans la boue le mis en examen sur la base d’informations tronquées, déformées, d’amalgames imaginatifs, d’accusations sans fondements.
Tout ceci est « justifié » par le souci sans doute explicable qu’une affaire ne soit pas étouffée ou enterrée jusqu’à ce que prescription s’en suive. Il y a effectivement un problème réel quand les magistrats sont conduits à violer certaines lois pour en faire appliquer d’autres. Mais dans le cas faisant l’objet de ce livre les violations systématiques du secret de l’instruction n’étaient pas innocentes et ne semblaient pas pouvoir être justifiées par cette préoccupation.
»



2°) Pris pour CIBLE de Guy BOSSCHAERTS et Sylvain SPRINGER. Dans cet ouvrage, la description du monde carcéral est saisissante et sonne vrai. Le centre pénitentiaire de Mailloles à Perpignan est présenté dans toute sa réalité. Ce livre est aussi écrit à la première personne du singulier ce qui permet au lecteur de vivre le « calvaire » de celui qui parle.


Extrait p. 16-17 : « Un monde de grisaille, bardé de serrures. […] Un quart d’heure s’était écoulé depuis mon arrivée à la prison, et j’étais déjà en cellule. Une pièce vide, des barreaux aux fenêtres, une lumière crue et blanche. Je me suis assis sur un matelas d’où s’échappait une odeur aussi rance que tenace. J’ai jeté un œil distrait au plateau-repas. Dans une gamelle douteuse, un morceau de poulet étrangement poilu disputait la place à quelques grains de riz. Il était dix-neuf heures et le repas du soir m’avait été servi.
On m’avait placé en quartier d’isolement. C’était un cauchemar, ce ne pouvait être qu’un cauchemar : j’avais été identifié, observé, photographié, immatriculé. Même dans l’état où je me trouvais, j’avais été déshabillé et fouillé, on m’avait enfermé, isolé, pour mieux me surveiller. On m’avait puni, mais pourquoi ? Quelle pouvait être cette malédiction dont on me rendait responsable ?
Au moment où l’on franchit le pas de porte de la prison, on perd à tout jamais la clé de son enfance. Le monde extérieur s’effondre comme un château de cartes. Je ne comprenais qu’une chose : on m’avait amputé de ma liberté et de mes sens, au propre comme au figuré. Seul demeurait le sentiment de manque. Une partie de mon corps ne m’appartenait plus. Si l’enfer existait, il ressemblait à cet endroit. Mon monde appartenait au passé, désormais mon univers se nommait « cellule A 112, numéro d’écrou 20 009 ». Ses murs étaient beiges, son sol d’un vert indéfinissable. Le vert avait toujours été pour moi la couleur de l’espoir, il venait de devenir celle de la négation. Une petite penderie garnie d’un casier de formica, un interrupteur, une sonnette pour appeler un surveillant qui jamais ne répondait à l’urgence. Un tube au néon surmontant une prise de courant inutilisable et un lavabo. Une planche verticale dissimulant une cuvette de faïence défendue par une porte battante. Et puis ce lit, de la même couleur que le sol, à la peinture usée, au sommier de tôle et au matelas de cinquante centimètres de large. Au-dessus d’une minuscule table, une fenêtre traversée par des barreaux ancrés dans le béton. Un monde de neuf mètres carrés qui aurait rendu folle la plus docile des bêtes.
»



→ Autres lectures possibles, celles de grands classiques :
_ L’affaire CALAS de VOLTAIRE,
_ Le dernier jour d’un condamné de V. HUGO.

→ Quelques articles récents du journal Le Monde en ligne :
_ Réformer le parquet est inéluctable
_ Pour une vraie réforme de la garde à vue
_ Quelle justice ?
_ La concertation engagée est une bonne méthode
_ Le code de procédure pénale doit être rénové



Jeudi 18/03/2010, L’Indépendant relate le nouveau suicide d’un détenu à la prison de Mailloles, à Perpignan.