"Ceux qui voulaient me briser y sont parvenus..."
extrait de la dernière lettre de Jacques Bouille à sa famille





dimanche 27 décembre 2009

Détention provisoire


a) Petite rétrospective :

*code de procédure pénale art.143-1 : sous réserve des dispositions de l’article 137, la détention provisoire ne peut être ordonnée ou prolongée que dans l’un des cas ci-après énumérés :
1) la personne mise en examen encourt une peine criminelle ;
2) la personne mise en examen encourt une peine correctionnelle d’une durée égale ou supérieure à trois ans d’emprisonnement.
La détention provisoire peut également être ordonnée dans les conditions prévues à l’article 141-2 lorsque la personne mise en examen se soustrait volontairement aux obligations du contrôle judiciaire.

*CPP art.144 : la détention provisoire ne peut être ordonnée ou prolongée que s’il est démontré, au regard des éléments précis et circonstanciés résultant de la procédure, qu’elle constitue l’unique moyen de parvenir à l’un ou plusieurs des objectifs suivants et que ceux-ci ne sauraient être atteints en cas de placement sous contrôle judiciaire :
1) conserver les preuves ou indices matériels qui sont nécessaires à la manifestation de la vérité ;
2) empêcher une pression sur les témoins ou les victimes ainsi que sur leur famille ;
3) empêcher une concertation frauduleuse entre la personne mise en examen et ses coauteurs ou complices ;
4) protéger la personne mise en examen ;
5) garantir le maintien de la personne mise en examen à la disposition de la justice ;
6) mettre fin à l’infraction ou prévenir son renouvellement ;
7) mettre fin au trouble exceptionnel et persistant à l’ordre public provoqué par la gravité de l’infraction, les circonstances de sa commission ou l’importance du préjudice qu’elle a causé. Ce trouble ne peut résulter du seul retentissement médiatique de l’affaire. Toutefois le présent alinéa n’est pas applicable en matière correctionnelle.



17/12/08_24/05/09 : J. BOUILLE a été placé en détention provisoire à partir du 17/12/08. Il est resté, jusqu’au jour de son suicide, enfermé, en isolement, dans une cellule minuscule du centre pénitentiaire de Mailloles, soit cinq mois et une semaine.
Le prêtre de sa paroisse, sa mère et ses enfants, par la suite son cousin et l’épouse de ce dernier, ont obtenu un droit de visite : 3 visites par semaine d’une demi-heure chacune.
Le reste du temps, il était laissé délibérément dans une totale solitude, rythmée, sans doute, par les petits événements de la vie carcérale (repas, promenade qu’il avait refusée car, pour les détenus du quartier d’isolement, elle s’effectue dans une petite cour entourée de grilles et de barbelés dans laquelle il s’agit de tourner en rond, passage des gardiens, visite d’avocats, douche qu’il avait fini par refuser…)
De l’ordonnance de placement en détention provisoire en audience publique du 17/12/08 à PERPIGNAN aux deux arrêts du 17/02/09 et du 23/04/09 de la chambre d’Instruction de la Cour d’appel de MONTPELLIER, il n’a jamais pu obtenir sa mise en liberté, même après avoir proposé d’aller vivre chez sa fille dans un autre département.

17/12/08_10/04/09 : le contrôle judiciaire de M.A. BOUILLE lui a interdit tout contact avec son époux. Ce n’est qu’à la suite d’une lettre adressée à la juge en mars 2009, dans laquelle elle faisait part de ses inquiétudes sur les intentions suicidaires de son époux -il les avait exprimées à sa fille lors d’une visite-, qu’elle a obtenu le droit de correspondre avec lui à partir du 10/04/09.

10/04/09_04/05/09 : dès lors les deux époux ont régulièrement correspondu mais avec les décalages inhérents au contrôle du courrier, forcément lu par les juges. Ainsi J. BOUILLE, la dernière semaine avant sa mort (semaine du jeudi de l’Ascension, jour férié), n’a jamais eu entre les mains aucune des sept lettres écrites et adressées à lui-même par son épouse, ainsi qu’une lettre de sa fille.

(A voir dans un prochain article : extraits de lettres de Jacques Bouille)



b) Au sujet de la détention provisoire :

Dans un article du journal Le Monde du 17/12/09 page 13 « Les détenus se suicident six fois plus que les hommes libres », il est précisé que « les prévenus (en attente de jugement) se suicident deux fois plus que les condamnés ». Comment s’en étonner ? Le choc subi par l’incarcération -quand on est encore, en principe, présumé innocent- a de telles répercussions sur un individu, un être humain, qu’une fois l’effet anesthésiant passé, chaque jour, chaque heure vécus en détention provisoire aboutissent, sans aucun doute, aux trois questions fondamentales : pourquoi ? comment ? quand ?
Pourquoi suis-je ici ? pourquoi moi ? et il faut plusieurs jours pour tourner et retourner le problème dans tous les sens et essayer de lui trouver un sens.
Comment sortir de là ? doit être le second stade, puis la lancinante question : quand sortirai-je ? De demandes en appels, quand toutes les issues se ferment et qu’on reste « comme un rat en cage », qu’il n’y a plus la moindre parcelle d’espérance, c’est le désespoir qui s’installe avec d’abord l’apparente résignation à son sort de « déjà condamné » et puis la lente volonté de parvenir à s’échapper par le seul moyen qui reste : le suicide. Car la privation de liberté et la solitude sont insupportables pour tout être humain. Un enfermement trop long conduit irrémédiablement tout individu au désespoir : il est entre les mains des autres (juges, procureur, personnel pénitentiaire, avocats…), son sort, semble-t-il, ne dépend plus de lui mais d’autres qui ont tout pouvoir sur lui. L’état de dépendance dans lequel il est placé enclenche comme première réaction fatale la morbidité et le désir de mort. Il se sent à la fois inutile et impuissant. Un être actif, social, sociable, qui se retrouve du jour au lendemain, seul, en enfermement dans une petite cellule, a beaucoup de mal à résister sans le secours des êtres qui lui sont chers. Et il faut du temps, tellement de temps pour que les siens puissent obtenir les autorisations nécessaires pour le voir, lui écrire… C’est toute la misère de la séparation et de l’enfermement qui lui est constamment renvoyée. En fait, cet enfermement du « prévenu » est une lente torture qui érode progressivement sa résistance. Un tel enfermement se justifie-t-il toujours ? N’y a-t-il pas d’autres solutions possibles ? Au lieu de laisser le prévenu « crever seul comme un rat en cage » ne pourrait-on envisager de le considérer comme une être humain capable d’exercer un travail utile pour la société ? Est-il normal de ruiner sa vie en l’empêchant de travailler des mois et/ou des années durant ? Peut-on briser la vie d’un individu sur de simples soupçons surtout quand on sait qu’il ne présente aucun danger pour la société ? On en arrive -hélas !- avec le système actuel de la détention provisoire à une telle impression de gâchis, de perte de valeurs humaines et de désespérance qu’on se pose l’inévitable question : doit-elle perdurer dans ces conditions ?



Dernier écrit laissé par J. Bouille pour sa famille