"Ceux qui voulaient me briser y sont parvenus..."
extrait de la dernière lettre de Jacques Bouille à sa famille





mercredi 6 octobre 2010

A propos des perquisitions


Mon époux et moi, comme pratiquement tous les membres de notre famille, avons eu à subir de nombreuses perquisitions à notre domicile et plus particulièrement pour mon époux au centre médical et à la mairie.

Dates des perquisitions (parfois avec saisies) subies par mon époux :
_ 15/12/08
_ 16/12/08
_ 16/01/09

par moi-même :
_ 13/01/09
_ 16/01/09
_ 29/04/09
_ 22/10/09
_ 11/02/10

Je n’évoquerai ici que ce à quoi j’ai assisté et la manière dont je l’ai vécu. Internet est, peut-être, un des derniers espaces de liberté où l’on puisse s’exprimer.


La perquisition -même si tout se passe globalement de façon correcte- s’apparente, c’est mon ressenti, à la fois à un viol et à un vol. Il faut l’avoir vécu pour le comprendre car on assiste alors à certaines choses que l'on doit endurer et qu'on n’aurait jamais pu simplement imaginer. Voir défiler (chez soi, dans son intimité, ce que l’on a de plus privé, son refuge, l’endroit où l’on vit avec sa famille, où l’on a construit son existence !), monter, descendre les escaliers, s’emparer d’objets, de papiers personnels ou autres pour les mettre sous scellés, etc… parfois plus d’une demi-douzaine de policiers, est en même temps choquant et saugrenu. La personne dont le domicile est perquisitionné n’a que le droit de regarder et de subir : des étrangers pénètrent soudain chez elle et fouillent tout. Sans égards.
En ce qui me concerne, cette fouille de mon domicile s’est accompagnée de réflexions déplaisantes, de propos gras et déplacés, peut-être volontairement provocateurs, lorsqu’il s’est agi d’ouvrir mes tiroirs, de chercher dans mes affaires personnelles ou de retourner mes sous-vêtements, par exemple. J’ai assisté -littéralement médusée- à des scènes surréalistes : voir les juges d’instruction et la P. J. "saucissonner" sur la table basse du salon, après m’avoir proposé de me joindre à eux (offre que j’ai déclinée, courtoisement : comment imaginer que cela soit possible ? Partager son repas avec ceux qui vous dépossèdent et vous humilient ? Et comment avaler quoi que ce soit dans de telles circonstances, alors que l’on a plutôt l’impression que le monde s’est soudain mis à tourner à l’envers ?), voir les mêmes, le soir, tranquillement assis ou affalés sur un tapis fragile, faire chauffer la cire afin d'apposer les scellés… Ce sont des spectacles inoubliables ! Ce jour-là, j’ai même eu droit à la visite d’un chien (« celui des stupéfiants », m’a-t-on dit) avec ses maîtres, peut-être des collègues de passage, curieux de voir la maison dont la presse a tant parlé et ravis de dire un petit bonjour à leurs amis de la P. J.... mais à qui, tout de même, au bout d’un grand moment, les juges ont demandé de partir.
Voir les scellés apposés sur les portes de son appartement est d’une infinie tristesse car on est alors coupé de son passé, de tout ce qui représente son réconfort, sa protection ; appartement dont chaque pièce vous rappelle chaque jour des moments heureux, partagés en famille ou avec des amis. Un lieu que l’on aime et dans lequel on a vécu trente ans, en ce qui me concerne. On se retrouve exclu, banni de sa propre vie. Je le suis restée quatre mois.
Voir, et surtout entendre, les juges partir dans les voitures de la P. J., toutes sirènes hurlantes, m’a laissée perplexe : à St. Cyprien, un soir d’hiver, aux environs de vingt heures, il n’y a guère de circulation… Je pense aussi à cette perquisition effectuée juste la veille du jour où je devais être entendue par les juges. Malencontreux hasard du calendrier, sans doute… ou technique bien rôdée pour me déstabiliser et m’accabler davantage ? Par bonheur, le lendemain, entrée à neuf heures au palais de justice, j’en suis ressortie à neuf heures dix, grâce à mon avocat qui a enfin pris la décision de faire valoir l’entrave aux droits de la défense constituée par le fait que les juges d’instruction en charge de l’affaire se refusaient, depuis des mois, à lui transmettre la suite du dossier. C’est toujours le cas, depuis.

A quoi dois-je encore m’attendre ? C’est ce que je me demande souvent. Car l’on ressent tout cela comme une torture. C’en est une, effectivement, et elle laisse pour longtemps blessé et meurtri.
Il y a, malheureusement, une part de sadisme -conscient ou inconscient- inhérent au système de la machine judiciaire et policière. Je l’ai déjà remarqué lors de la garde-à-vue, mais c’est encore plus sensible au cours d’une perquisition. Les réflexions faites par les personnels de police judiciaire venus pour les différentes perquisitions sont consternantes d’a priori, de méchanceté, parfois de malveillance et même de bassesse. Je ne les rappellerai pas toutes, elles sont trop nombreuses. Au fait, pourquoi de telles réflexions ? J’ai voulu y voir, en plus du plaisir que cela devait procurer à ceux qui s’autorisaient ces propos, le désir de me faire sortir de mes gonds, me pousser à un acte répréhensible envers un de ces représentants de l’ordre public, moi une femme, toute seule, face à cinq ou six hommes de la police… c’est un bien piètre jeu. Pour humilier, simplement ? Avec la certitude qu’on en a le droit, peut-être même le devoir, tant on est profondément convaincu d’être au-dessus des lois lorsqu’on est censé en être soi-même l’instrument, ou d’être investi de tous les pouvoirs lorsque la personne, en face de soi, n’en a plus aucun, elle.
« Tout ce qu’il y a chez vous ne vous appartient pas ». Voilà une des phrases les moins détestables que j’ai pu entendre. J’avais envie de protester que par notre travail, mon époux et moi-même avions gagné notre vie et que cette évidence ne pouvait être contestée, mais je savais que cela ne servait à rien. Tout ce que j’aurais pu dire en l’occurrence aurait été sans valeur, bien sûr, puisqu’ils peuvent affirmer, eux, ce qu’ils veulent : ils sont assermentés et moi pas. Je suis une prévenue. Tout ce que j’ai pu écrire en marge d’un P.V. afin qu’il en reste une trace, a été balayé d’un haussement d’épaules car -disaient-ils en termes moins corrects que ceux que j’utilise ici- cela n’était d’aucune conséquence pour eux. Ils peuvent faire ce qu’ils veulent : forcer un portail pour entrer, prendre des objets qu’on ne leur a pas demandé de saisir (par inadvertance, peut-être ?)… Je garde ces paroles et ces gestes en mémoire, tout comme je garde le souvenir d’un carton, soi-disant retrouvé sous le préau… et d’une très belle photo de mon époux -posée sur mon bureau- qui a, depuis une perquisition, disparu… Quelques aberrations parmi tant d’autres.
Je trouve presque comique la mention notée sur certains P.V. de perquisitions et qui concerne la personne dont le domicile est perquisitionné : « en sa présence constante et effective ». Car même s’il est vrai que j’étais présente, comment aurais-je pu suivre six personnes s’activant dans chaque pièce de mon appartement, déambulant partout, comment aurais-je pu vérifier avec exactitude les objets saisis alors même qu’on m’en fait signer les scellés dans l’instant ? Et que dire, lorsque les scellés mis sont des scellés provisoires qui ne sont même pas déposés au greffe du palais de justice mais restent quelque part dans les locaux de la police judiciaire ? Rien, de toutes façons, une prévenue n’a rien à dire. Elle doit se taire et endurer. Entre le moment où les scellés ont été apposés sur les portes de mon domicile -après la perquisition du 16 janvier 2009- et celui où ils ont été définitivement enlevés quand j’ai enfin pu revenir chez moi, après une modification de mon contrôle judiciaire, aucune perquisition n’a été faite. Durant trois mois. Sans commentaire.

Que reste-t-il de tout cela ensuite ?
Une quantité de problèmes plus absurdes les uns que les autres : l'impossibilité de récupérer des documents indispensables à la vie quotidienne ou même d'en obtenir la photocopie, pour établir une déclaration d'impôts, par exemple, régler des factures, ou justifier de la possession d'un bien.
Au petit matin, la hantise du coup de sonnette. Chaque matin.
La vision récurrente d’officiers de police judiciaire se présentant à votre porte, l’obligation de leur répondre, de leur ouvrir, de les laisser faire. Un traumatisme absurde. Le fruit d’une intrusion très spécialement programmée "au saut du lit" qui, si elle ne m’a jamais dérangée dans mon sommeil (je suis une "lève-tôt") a, en revanche, bouleversé mes enfants. Et quelle débauche de moyens, quelle opération grandiose ! Pensez : le 22 octobre 2009, six ou sept perquisitions en simultané dans des lieux différents, mobilisant, chacune, trois ou quatre policiers. Jusqu’à Paris…
Et l’angoisse. Celle que l’on ressent en se demandant comment vont les autres, comment ils réagissent, ce qu’il se passe pour eux, alors qu’on nous interdit de chercher à communiquer pour prendre simplement des nouvelles tant qu’on n’a pas décidé que c’était terminé. J’ai été soulagée d’apprendre finalement que tout s’était convenablement déroulé pour mes enfants. Pourtant, le souvenir de ces instants demeure et, lentement, fait son œuvre. A la manière d’une agression.
Ma fille m’a avoué : « Quand ils ont frappé à la porte, je dormais profondément. Il m’a fallu un moment pour réaliser. Et, je ne sais pas pourquoi, j’ai eu envie de me jeter par la fenêtre. Puis j’ai pensé à Papa. Je me suis dit qu’il aurait eu beaucoup de peine de savoir ce qu’il nous arrivait. Ça m’a donné du courage. J’ai rassemblé mon calme et ma politesse, attrapé de quoi me couvrir et je suis allée ouvrir. Tous les voisins de l’immeuble avaient été ameutés, de toutes manières, je n’avais plus vraiment de pudeur à avoir. »
C’est durant ce type d’investigation que l’envie d’en finir est la plus palpable, en finir avec ce cauchemar permanent dans lequel on se trouve plongé, cette torture et cette souffrance sans cesse ravivées. Et que l’on revit. A chaque fois.
Et cela , ni la police ni la justice ne l’ignorent.


Marie-Antoinette BOUILLE