"Ceux qui voulaient me briser y sont parvenus..."
extrait de la dernière lettre de Jacques Bouille à sa famille





mercredi 11 août 2010

La G.A.V. « à la française » déclarée anticonstitutionnelle


Le 30 juillet 2010, le Conseil constitutionnel a censuré la garde-à-vue « à la française » (cf., par exemple, l’article du Figaro du 31 juillet 2010 et les articles du Monde des 01 et 02 août 2010 qui l’annonçaient). ENFIN !
Pour avoir été mise en garde à vue en même temps que mon époux, Jacques BOUILLE, du 15 décembre 2008 au 17 décembre 2008 au soir et pour avoir pu, contrairement à lui, quitter, libre, l’affreuse cellule glacée du palais de justice de Perpignan (une véritable geôle, le terme est tout à fait approprié), après avoir été entendue par les juges d’instruction et placée sous contrôle judiciaire, je garde en mémoire -et cela, à tout jamais- de façon indélébile chaque instant, vécu dans les locaux de la police judiciaire, qui transforme un être humain, une citoyenne ordinaire, en prévenue. Venue librement, sur convocation, dans ces lieux avec mon époux, je me suis retrouvée -sans bien comprendre au départ ce qui m’arrivait- séparée de lui, interrogée dans un bureau par quelqu’un qui me demandait mes nom, prénom, date de naissance etc… et qui s’est montré choqué et ulcéré du fait que j’ose moi-même lui demander qui il était puisqu’il portait un badge vide de tout nom et de tout titre ou fonction. Bon début d’interrogatoire pour moi, à n’en pas douter…
Dans cet environnement hostile, j’ai ressenti la venue d’un avocat, sa présence, comme la bouée de sauvetage lancée au noyé. Mais, l’avocat ne peut pas faire grand-chose pour son client, à ce moment, puisqu’il n’a pas accès au dossier avant la fin de la G.A.V.

Durant ces interrogatoires menés par la P.J., tout est fait pour que, progressivement, le prévenu perde pied, même si tout se déroule de façon correcte. Ainsi, à ma grande surprise, j’ai compris que mes propos n’étaient pas enregistrés mais réécrits de manière globale et non pas mot à mot par l’inspecteur qui m’interrogeait. Il me fallait donc garder toute ma vigilance et ne pas signer cette retranscription sans l’avoir bien relue et y avoir fait apporter les corrections nécessaires. Mais, au fil des heures, tout est fait pour que cette vigilance s’amenuise car il s’agit bien -hélas !- d’un épuisement moral et physique qui se met en place, accompagné pour certains, parfois, de pressions, chantage et même privation de nourriture.
J’ai le souvenir des intrusions intempestives pendant mes interrogatoires de la personne qui interrogeait mon époux et qui venait distiller des informations à son collègue : j’ai compris que ce devait être une tactique habituelle de déstabilisation.
J’ai surtout encore dans mes oreilles les hurlements dont cette même personne abreuvait mon époux et qui étaient d’une telle ampleur que je ne pouvais entendre -alors que le bureau dans lequel j’étais interrogée était placé à l’autre bout du couloir par rapport au bureau où se trouvait mon mari- les questions que l’inspecteur me posait. Oui, il faut subir cela.
Les apitoiements sur mon sort, la gentillesse (réels ou feints ??), les différentes attitudes (de la connivence à la colère) ne tendent qu’à un seul but : obtenir l’aveu attendu. Le système est fondé sur l’aveu. Malheur à celui qui n’avoue pas, qui ne va pas dans le sens souhaité ! Il faut briser sa résistance et si la police judiciaire n’y parvient pas, la détention provisoire -encore une mesure qu’il conviendrait de revoir et de modifier- s’en chargera. J’ai éprouvé la sensation étrange d’un schéma établi à l’avance, auquel tout devait obligatoirement « coller ». J’ai eu l’impression d’une mise en scène trop théâtralisée, comme si à la fin des quarante-huit heures de garde-à-vue, le rideau tombait, la pièce était terminée, tout redevenait normal. Les policiers de la P.J. me parlaient enfin d’une façon ordinaire, ils quittaient leur attitude de scène pour établir avec moi de simples rapports humains. Mais en moi-même, j’éprouvais toujours un profond sentiment d’irréalité, l’envie d’échapper à un cauchemar… Mais non. C’est avec notre vie qu’on venait de jouer.
Je revois encore la cellule du commissariat central où j’étais conduite, en fin de journée, à une heure variable (mais on perd vite la notion du temps), sa saleté, sa porte à barreaux, le banc étroit qui tenait lieu de lit sur lequel j’ai dû m’envelopper dans mon manteau car on ne m’a pas donné de couverture et où, la première nuit, le froid et les cris de personnes incarcérées m’empêchaient de trouver le repos. Curieusement, quand au bout des quarante-huit heures de garde-à-vue, j’ai retrouvé ma cellule, la seconde nuit a été très calme et le chauffage marchait… La fatigue aidant, j’ai pu dormir.
J’ai le souvenir de l’horrible geôle du palais de justice de Perpignan où je suis restée enfermée, seule, le 17 décembre 2008 du matin au soir. Lorsqu’on m’y a conduite, j’ai pu constater que d’autres cellules étaient occupées. Passant devant l’une d’elles, j’ai aperçu un jeune homme menotté et entravé, avec une longue chaîne qui pendait de ses mains… Un banc de pierre, un froid glacial ; j’ai battu la semelle (au sens propre) pour me réchauffer, à intervalles réguliers, jusqu’à m’en blesser. Une question angoissante me taraudait l’esprit : sortirons-nous libres d’ici ? Moi, j’ai pu ressortir. Mon époux, non. Il a été placé en détention provisoire, il est resté emprisonné en quartier d’isolement, au centre pénitentiaire de Mailloles, plus de cinq mois et demi, dans un tel état de détresse morale et psychologique qu’il s’est pendu aux barreaux de la fenêtre de sa cellule dans la nuit du 23 au 24 mai 2009. Le si long enfermement auquel il a été soumis, sa situation de « presque mis au secret », le manque profond et cruel de compassion et de discernement, l’absence totale et intolérable de contact affectif avec moi, sa propre épouse, ont conduit à cette tragédie.

OUI, il est grand temps de changer les conditions de la garde-à-vue, mesure coercitive par excellence -qui va perdurer un an encore !- au XXIe siècle, en France, patrie des droits de l’homme. Il est grand temps de donner à l’avocat un rôle et une place plus importants auprès de son client et de lui accorder l’accès direct au dossier dès le début de la G.A.V. Car, en l’état, garde à vue et détention provisoire s’apparentent à des abus de pouvoir légaux auxquels on soumet en toute impunité un citoyen, alors qu’il demeure présumé innocent. Vestiges d’une époque révolue, ils sont effectivement un vrai scandale pour notre démocratie et notre République.

Marie-Antoinette BOUILLE



Articles de presse :

Le Monde
_ Le Conseil constitutionnel juge inconstitutionnelles les gardes à vue de droit commun
_ Garde à vue : "Cette décision est une véritable révolution !"

Le Figaro
_ Les Sages exigent une réforme de la garde à vue



=> Nouvel article du 08 septembre 2010 :
Le Monde
_ La vraie fausse réforme de la garde à vue